infirmière pointant une horloge en regardant l'interlocuteur

L’ancienne cotation AIS3 qui correspondait à une «  séance de soins infirmiers par séance d’une demi-heure à raison de 4 maximum par 24 heures » a donné lieu à un énorme contentieux des infirmiers libéraux contre les Caisses depuis presque 10 ans, relativement à la durée de cet AIS3.

Ce contentieux AIS3 «  de la demi-heure »  s’essouffle et touche peut-être à sa fin puisque cet acte (ouf !) n’existe plus.

Le contexte

Dès 1961, dans  la « revue économique »,  Georges Rösch , utilisait déjà l’expression de «  consommation médicale » (revue économique 1961, 12-2 page 295).   Le but clairement énoncé était de « considérer la médecine comme un secteur économique majeur, ….et lui appliquer les méthodes générales d’observation et d’analyse économique ».

La maladie, les soins, seraient donc analysés en termes d’ « offre » et de « demande ». C’est ainsi que nous sommes devenus des « consommateurs de soins ». Et déjà l’auteur écrivait : « le nombre de consommateurs et des besoins de consommation s’accroissent : non pas parce que le nombre des malades augmente….. mais parce que s’accroissent les possibilités de soigner ».

Tout est dit dans cette phrase :  s’il y a beaucoup (trop ?) de possibilités de soigner les patients, la consommation de soins augmentera, et par suite les dépenses de l’assurance maladie.  L’abondance des possibilités de soins serait-elle, donc, la source de tous les maux ? (ou en tout cas celle du fameux « trou de la Sécurité Sociale » qui fait partie de notre paysage depuis plus de 50 ans ?).

La « CSBM » (« Consommation de Soins  et de Biens Médicaux ») était née et allait ensuite être dotée d’un « observatoire » qui rendrait annuellement des statistiques.

Le virage AMBULATOIRE : essor des soins de ville et donc des soins des IDEL

En 2015 nous « consommions » trop de dépenses d’hospitalisation. Afin de limiter les dépenses des hôpitaux, une limitation de la durée d’hospitalisation a été progressivement mise en place. On pouvait lire dans « Le Particulier » du 3 juillet 2015 :

« Afin de réaliser une économie de 3 milliards d’euros sur 3 ans, l’Assurance Maladie vient d’émettre une vingtaine de propositions dans ans un rapport présenté à son conseil d’administration. Parmi elles, figure le « virage ambulatoire », qui consiste, chaque fois que c’est possible, à écourter ou à éviter les séjours en milieu hospitalier, tout en offrant des services au patient au plus près de son domicile.».

L’ennui, c’est qu’en raccourcissant les hospitalisations,  les dépenses de soins de ville ont alors augmenté, et parmi celles-ci les dépenses de soins infirmiers prodigués par les IDEL. La nouvelle priorité a donc été de « serrer » les dépenses de soins de ville.

Les infirmiers furent les premiers à en faire les frais, car ce sont eux essentiellement qui maintiennent les patients à domicile ; or leur cotation est complexe et sujette à interprétation. Ce fut le début d’une traque sans fin.

Les AIS3

Les AIS3 furent créés après une négociation avec la profession infirmière, afin d’éviter aux infirmiers de faire des comptes d’apothicaires (ceci sans vouloir faire de l’esprit).

Cette cotation globale leur évitait de compter chaque acte, sachant que le prix du 2ème est compté à 50% et que le 3ème, ainsi que les suivants, est gratuit (les infirmiers sont sans doute la seule profession qui soit tenue de fournir des  services gratuits).

La durée des AIS3

Alors que l’article de la NGAP, relatif aux AIS3, tend à créer un plafond de durée maximum de soins remboursables (2H00 par jour),  les Caisses eurent l’idée d’ imposer progressivement que ces séances AIS3  devraient durer une demi-heure minimum chacune.

Par magie, un maximum se transforma en minimum. Cette idée permit de récupérer des millions d’EURO en quelques années. Heureusement, il apparut assez vite qu’il n’était pas possible de déclarer « gratuite » une séance de moins d’une demi-heure… mais la 2ème demi-heure semblait intouchable, sacrée, et rapidement s’installa l’idée que pour compter 2AIS3 il fallait rester une heure, ou encore « presque » une heure, en tout cas pas ¾ d’heure, ce qui finalement revenait à exiger peu ou prou que l’infirmière reste 2 X 1/2H pour pouvoir compter 2 AIS3.

L'interprétation des Caisses

Une véritable campagne de communication s’est créée pour asseoir l’idée que l’infirmier devait passer au moins  ½ heure chez le patient pour pouvoir facturer 1 AIS3, et en tout cas un temps proche d’une heure pour pouvoir facturer 2 AIS3.

Cette interprétation est contraire au texte puisque la NGAP mentionne :

 » La cotation forfaitaire par séance inclut l’ensemble des actes relevant de la compétence de l’infirmier réalisé au cours de la séance, la tenue du dossier de soins et de la fiche de liaison éventuelle « 

Le  dossier de soins (désormais, la plupart du temps, sur une application), est souvent complété après la séance chez le patient. Il n’est donc pas possible d’exiger une présence chez le patient d’une demi-heure minimum, puisque l’AIS3 comprend des diligences faites ailleurs que chez le patient. Pourtant les Caisses en ont décidé autrement.

Les Caisses ont d’abord utilisé leur informatique surpuissante pour faire la chasse aux infirmiers qui accomplissaient « trop » d’AIS3 dans l’année. Elles furent qualifiées de « suractives » ou « hyperactives » . Progressivement, l’idée fut admise qu’il ne fallait pas réaliser  plus de 34 AIS3 par jour. Parfois même ce seuil était plus bas dans certaines régions, sans que l’on sache pourquoi.

Des articles de presse tapageurs ont été publiés dans toute la France. Les titres étaient à peu près toujours de ce style : « l’infirmière prétendait travailler 30 heures par jour ». Des campagnes de communication stigmatisaient les infirmiers « hyperactifs ».

Combiné avec la limitation du nombre d’infirmiers par zone, la limitation du nombre de séances de soins AIS3 par infirmier et par jour diminue le nombre total de séances de soins que l’on peut « consommer » dans un  périmètre géographique donné. C’est tout simplement une diminution de l’offre de soins. Ainsi la prophétie implicite de la revue économique de 1961 était-elle accomplie.

L'évolution des décisions de justice

Les Caisses avaient commencé par notifier des indus au regard d’un nombre d’AIS3 annuels trop important, sans faire de détail. Le procédé fut d’abord jugé illicite dans le dossier d’un infirmier chanceux (Cour de Cassation Criminelle 10 décembre 2013 12-87457)  mais aussitôt jugé totalement licite pour un autre infirmier moins chanceux,  4 mois plus tard (Cass. Criminelle 2 avril 2014 13-81063)….ô Justice variable….

Ce fut l’époque des « transactions » signées par des infirmiers avec la CPAM, au vu d’évaluations statistiques de leurs indus par la CPAM . La signature des infirmiers  était obtenue lors d’un entretien « confidentiel », en faisant état d’un possible contrôle qui ferait ressortir encore plus d’indus. Certains se sont ainsi ruinés sans jamais avoir su si réellement ils avaient fait tant d’actes en trop (CA de RENNES chambre 2 , 6 juin 2014 13/04165). Peu de juridictions ont osé dénoncer ces méthodes et les « statistiques »  mises en avant par les Caisses (CA BESANCON, chambre sociale 31 aout 2018 17/02138).

Des juridictions pénales continuaient encore de se débattre et d’estimer plusieurs fois (Cour d’Appel de Lyon, 28 juin 2018 n°17/01283, et 19 septembre 2018 N°17/01710) , que « la tarification est d’un AIS3 si la séance dure moins de 30 minutes, un second AIS3 pouvant être facturé si la séance dure plus de 30 minutes, dans la limite de 4 par jours».

Cette position était encore tenue par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation   7 MARS 2017 15-84.391, 235 PUBLIE sur LEGIFRANCE (motifs adoptés : « L’acte AIS 6, doit être compris entre 30 et 60 minutes »).

Mais les juridictions sociales (anciens T.A.S.S)  et leur juridiction suprême (les chambres civiles) se sont, elles, inclinées de plus en plus fort devant la position des Caisses (CASS. CIV2 17 décembre 2015 14-29007 :

« s’agissant de séances d’une demi-heure, selon les termes de la NGAP il ne saurait être admis que soient facturées deux séances d’une demi-heure dès lors que la trente cinquième minute est atteinte »

La palme revient à la Cour d’Appel d’AIX EN  PROVENCE dans une décision  (14ème chambre 29 juin 2016 n°14/24359) qui énonce :

« Certes, le seuil journalier de 34 AIS3 équivalant à 17 heures de travail payées, n’est mentionné ni dans la NGAP, ni dans aucun texte réglementaire ou conventionnel.

Toutefois, et afin de garantir la qualité des soins dispensés à des patients particulièrement dépendants, de nombreuses caisses primaires ont décidé de fixer une limitation quotidienne variant selon les départements.

Ces décisions n’ont jamais fait l’objet de recours pour excès de pouvoir, et de nombreuses juridictions judiciaires ont déjà validé une limitation à 34 AIS3 par jour, hors temps de trajet, en considérant qu’une amplitude de 17 heures était « parfaitement raisonnable ».

La « décision » de fixer le maximum d’AIS3 à 34 par jour n’a jamais été une  « décision », encore moins « administrative ». Cette  «limitation « ,  « variant suivant les départements » ( !) était un simple  argument de récupération d’ « indus » qui était invoqué dans tous les contentieux. Il  ne pouvait donc  pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, pas plus qu’il n’est possible de faire cuire du beurre en broche. Mais la Cour trouvait ainsi le moyen de transformer un argument de la CPAM en une règle administrative, ce qui lui permettait de se dire impuissante à la critiquer.

Dans un arrêt du 21 septembre 2017 16-21.330 publié, la  Cour de Cassation persistait ensuite  à adopter ce seuil, parce qu’il était « raisonnable » .

Toutes les affaires pendantes devant la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, même celles où les indus avaient été annulés pour des problèmes de procédure, furent perdues en Cassation puis en cour de renvi sur la question de la durée de l’AIS3  (CASS. Civ 2 9 juillet 2020, 10-12572) . En cour de renvoi, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE condamnait tous les infirmiers (CA AIX ch4-8 28 mai 2021 n°20/09360), et continuait sur sa lancée (CA AIX CH4-8 19 novembre 2021, 20/07279) ; suivie en cela par bien d’ autres (Cour d’appel de Rennes, 9e chambre securite sociale, 5 juillet 2023, n° 20/04640).

Conclusion

Feu l’AIS3 a vécu. Des millions d’EURO ont sans doute été récupérés grâce à la rédaction peu claire de la NGAP. Toutes les affaires ne sont cependant pas encore jugées. L’enjeu a désormais diminué puisque cet acte a été supprimé de la NGAP.  Peut-on rêver, dans ce nouveau contexte, d’une solution différente, libérée de toute considération qui ne serait pas strictement juridique ? A suivre (ou pas).

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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