le tableau d'un chien de race Saint Bernard (chien sauveteur de montagne), avec un tonneau accroché au collier sur lequel on a ajouté une coiffe blanche avec une croix rouge

Je suis essentiellement Savoisien, et moi et tous les miens,
et ne saurais jamais être autre chose.
»
St François – et non Saint Bernard ! – de Sales, 1567–1622 

Liés avec l’Union des Caisses Nationales d’Assurance Maladie par une convention du 22 juin 2007 que leurs syndicats ont omis (oups) de dénoncer avant sa dernière échéance de 2012, les infirmiers libéraux ne peuvent (sauf cas rarissimes) pratiquer de dépassements d’honoraires. Ils sont quasi-totalement rémunérés par le système du tiers payant, au « tarif » dit « de la Sécurité Sociale », c’est-à-dire au tarif que les assurances sociales acceptent de rembourser au patient pour chaque acte, et qui en l’occurrence est versé directement à l’infirmier.

Aux origines de la Sécurité Sociale (1945), le processus conventionnel était déterminant, et les tarifs des soignants devaient être négociés avec leurs syndicats (voir le document de l’IRDES – Institut de Recherche et d’Économie de la Santé –  l’historique des conventions médicales).

Assez vite, non seulement les tarifs des remboursements, mais aussi la définition (donc la description même) des actes médicaux et paramédicaux furent arrêtés unilatéralement par un organe administratif (actuellement l’UNCAM, Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie).

Les actes remboursables et la façon dont il faut les facturer sont définis par la Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP – version actualisée du 4 novembre 2022). Comme les infirmiers ne sont rémunérés qu’au tiers payant, si les actes qu’ils accomplissent ne correspondent pas à une description prévue par la NGAP, ou encore s’ils ne suivent pas strictement le mode de facturation  de ces actes tel qu’il est indiqué par la NGAP, ils courent le risque de devoir rembourser les sommes qu’ils ont perçues. Ils cumulent alors non seulement le risque d’une « notification d’indu » (contentieux de la Sécurité Sociale), mais parfois aussi un risque pénal, et un risque de sanction ordinale.

C’est aussi la NGAP qui détermine le mode de comptage et de facturation des déplacements des infirmiers.

Jusqu’à présent, les dispositions en vigueur semblaient ne pouvoir faire l’objet d’aucune interprétation. Les déplacements des infirmiers sont remboursés de façon forfaitaire (IFD), avec en supplément (lorsque la distance est supérieure à n-kms, dans une autre agglomération…) une indemnité « horokilométrique » (IK) . Ces indemnités ne constituent  pas seulement des remboursements de frais mais compensent aussi le temps perdu

 ( Art. 13.  Frais de déplacement pour actes effectués au domicile du malade.
« Lorsqu’un acte inscrit à la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ou à la Classification commune des actes médicaux (CCAM) doit être effectué au domicile du malade, les frais de déplacement du professionnel de santé sont remboursés en sus de la valeur de l’acte ; ce remboursement est, selon le cas, forfaitaire ou calculé en fonction de la distance parcourue et de la perte de temps subie par le professionnel de santé) .

Le calcul est assez complexe, mais bien rodé.

Ainsi, l’infirmier qui est appelé au chevet d’un patient éloigné (lorsque par hypothèse celui-ci ne trouve personne de plus proche) ne peut, quel que soit le nombre de kms parcourus, facturer que la distance entre le domicile du patient et le cabinet de l’infirmier installé au plus proche du domicile du patient.

La plupart des infirmiers effectuent une « tournée » au cours de laquelle ils visitent un grand nombre de patients dans la journée. Ceci est encore plus vrai en Savoie, où un infirmier peut faire 400kms par jour , sachant que les journées d’un infirmier commencent souvent à 5H00 du matin pour se terminer après 22H00.

Jusqu’alors, les infirmiers, en toute conscience et respect de la NGAP, facturaient la distance entre le cabinet le plus proche et le domicile de chaque patient.

Les infirmiers de Savoie estiment à environ 1/3 de leur temps le temps passé sur les routes, et à environ 1/3 de leurs revenus le montant des  indemnités horokilométriques.

Mais, depuis janvier 2016, la CPAM de Savoie a décidé que les indemnités devraient être calculées différemment. Seuls les km entre le cabinet professionnel le plus proche du premier patient et le domicile de ce premier patient devront être facturés. Ensuite l’infirmier devra calculer les kms de patient à patient (sauf s’ils résident dans la même commune), puis du dernier patient au cabinet le plus proche.

Ce mode de calcul n’est pas du tout celui préconisé par la NGAP.  L’article 13 C 1°) prévoit que l’indemnité est « calculée pour chaque déplacement à partir de son domicile professionnel », sous réserve de respecter, conformément au §2°) la distance entre le cabinet le plus proche du domicile de chaque patient.  Il n’est donc pas mentionné que   le calcul des distances se ferait depuis le domicile d’un patient jusqu’à celui du patient suivant.

Pour imposer un nouveau mode de calcul, la CPAM de Savoie s’appuie sur un arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry chambre sociale n°13/00053 du 10 octobre 2013.

Dans cette affaire, la CPAM a eu l’idée d’écarter le calcul préconisé par les art 13 et 13-1 de la  NGAP, au motif tiré de l’art. L111-2-1 du code de la Sécurité Sociale, un texte de portée très  générale, inscrit au chapitre de l’ « organisation de la Sécurité Sociale » :

« I.-La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de la prise en charge des frais de santé assurée par la sécurité sociale.

La protection contre le risque et les conséquences de la maladie est assurée à chacun, indépendamment de son âge et de son état de santé. Chacun contribue, en fonction de ses ressources, au financement de cette protection.

….En partenariat avec les organisations représentatives des professionnels de santé et les associations agréées en application de l’article L. 1114-1 du code de la santé publique, les organismes gestionnaires des régimes d’assurance maladie concourent, dans les conditions prévues à l’article L. 1411-2 du même code, à la mise en œuvre de la politique nationale de santé définie par l’Etat.

Chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources consacrées par la Nation à l’assurance maladie. »

C’est en écho à cette toute dernière phrase que la Cour d’Appel (ou plutôt la CPAM qui est à l’origine de cet argument) rappelle que les professionnels de santé doivent contribuer au bon usage des ressources de l’assurance maladie.

Et la Cour d’ajouter qu’ « il importe que soit respectée une adéquation, aussi stricte que possible, entre les remboursements de frais de déplacements sollicités par les professionnels de santé et les charges inhérentes à ces trajets, outre les pertes subies au regard de leur activité, et que l’indemnisation reste constamment à la mesure de la distance parcourue, notamment réduite à un forfait, pour les trajets les plus limités dans l’espace ou circonscrits au périmètre d’une agglomération, ou corrigée en considération de la localisation du domicile de l’assuré bénéficiaire de soins à domicile par rapport au domicile professionnel du praticien le plus proche. »

Partant de ce principe, la Cour d’Appel a entériné un calcul purement statistique établi à partir du kilométrage relevé lors d’une révision du véhicule de l’infirmier (!), auquel elle a appliqué un pourcentage de 52,80%, parce que le montant des soins prodigués à des patients dépendant de la CPAM représentait 52,80% du chiffre d’affaires de l’infirmier sur la période considérée.

La Cour d’Appel s’est certainement rendu compte de l’absurdité de ce calcul puisqu’elle prend soin d’indiquer qu’à aucun moment le mode de calcul n’a été critiqué par l’infirmier : le juge ne se prononce que sur ce qui lui est demandé…. Sauf dans certains cas bien précis, si l’une des parties oublie de contester un point, le juge ne viendra pas à son secours. En l’espèce on peut penser que l’infirmier a eu peur d’ « affaiblir » son argumentation principale, en discutant le mode de calcul.

Du coup, la Cour se dispense de s’interroger sur la pertinence du ratio coût des soins/ nombre de kms, et s’empresse d’adopter le calcul de la CPAM. Voilà qui permet un beau coup de filet puisque ce sont 132.092,36EUR qui sont récupérés au détriment d’un infirmier qui n’a fait qu’appliquer aveuglément la NGAP durant 3 ans, et qui n’a jamais fait l’objet d’aucun avertissement, d’aucune alerte au sujet d’une quelconque anomalie.  Selon son témoignage semble-t-il, cet infirmier a été ruiné, il a déposé le bilan et a cessé l’exercice de la profession d’infirmier, pour travailler….dans le BTP (une profession qui sera sans doute plus lucrative). Cet infirmier explique qu’il était seul à visiter chaque jour des malades isolés, en montagne. Gageons que les ressources de l’assurance maladie sont  bien mieux utilisées depuis que ces patients, jusqu’alors maintenus à domicile, auront pris le chemin de l’hôpital.

L’arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry n’a pas été frappé de pourvoi. Il est donc définitif. Pour autant, un arrêt de la Cour d’Appel n’est pas à confondre avec une loi et notre système judiciaire ne connaît pas la règle du « précédent » en vigueur dans le système de la Common Law. Une décision de Justice peut être contredite par une autre décision contraire, pour peu que des arguments différents soient présentés, ou que d’autres magistrats décident d’avoir une opinion différente.

Il reste qu’actuellement la CPAM s’appuie sur cet arrêt. Un collectif des infirmiers de Savoie s’est donc constitué pour lutter contre la position de la CPAM (encouragée semble-t-il par le Ministère de la Santé) qui souhaite leur imposer ce nouveau mode de calcul. Des  négociations sont en cours et de nombreux sites internet se font l’écho de cette révolte, car semble-t-il la CPAM menace de poursuites pénales tout infirmier qui suivrait les préconisations de la NGAP …..

Eh oui, on peut désormais être condamné à la prison pour ne pas avoir respecté la NGAP, mais aussi pour l’inverse. Le collectif des infirmiers de Savoie ne manquera sans doute pas d’explorer de multiples voies qui débouchent sur autant de questionnements, les uns juridiques, les autres de bon sens.

Les kilomètres parcourus peuvent-il désormais être extrapolés proportionnellement aux  tarifs des soins ? Les médecins et les kinésithérapeutes (dont les indemnités horokilométriques sont calculées à un taux supérieur à celui des infirmiers) gaspillent-ils l’argent de la Sécurité Sociale ? Quel est le ratio nombre de soins infirmiers/ nombre d’hospitalisations ? La CPAM de Savoie fait-elle un bon usage des ressources consacrées par la Nation à l’Assurance Maladie ? Doit-on se préparer à l’anéantissement des règles particulières au profit des premiers chapitres de chaque code? La NGAP est-elle applicable en Savoie, et si oui quels articles ? Si des dispositions d’origine conventionnelle peuvent  à la rigueur  subsister, qu’en est-il en revanche de l’art.L111-2-1 du code de la Sécurité Sociale et ne faut-il pas là aussi penser sérieusement à créer un Droit local de la Savoie (clin d’oeil…)  pour les infirmiers « Savoisiens »?

Il ne reste plus qu’à suivre les actions du collectif des infirmiers de la Savoie et à espérer, pour eux, que de nouveaux arguments soient entendus,  que des décisions soient rendues en sens contraire, ce qui alors pourrait conduire la CPAM à infléchir sa position. On ne peut, bien sûr, terminer cet article sans entonner l’hymne de la Savoie….

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris.

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