La CPAM condamnée à payer une indemnité aux infirmières qu’elle poursuivait injustement

La CPAM condamnée à payer une indemnité aux infirmières qu’elle poursuivait injustement

En attente d’une cotation spécifique, la pompe à insuline doit être traitée et cotée comme une perfusion sous-cutanée…..

Dans un dessin de Tintin, le capitaine Haddock crache sur un lama qui venait de lui cracher dessus, à la surprise de Tonton et du chien Milou.

Dans un jugement du 13 février 2018, le tribunal des affaires de Sécurité Sociale du LOIRET pose le principe que la pompe à insuline doit se voir appliquer la cotation des perfusions sous-cutanées, jusqu’à ce qu’il existe un article spécial de la NGAP sur les pompes à insuline.

Et il condamne la CPAM à payer à chacune des infirmières une somme de 500 EUR pour les indemniser des frais de procédure.

La CPAM prétendait qualifier ces actes d’AMI 1. De plus, selon la CPAM, au bout de 15 jours de soins, ce n’était plus remboursable. Donc les patientes à moitié aveugles n’avaient qu’à se débrouiller seules avec cet appareil pour qu’il délivre les bonnes doses à la bonne heure.

La pompe à insuline est un dispositif électronique qui administre de façon continue de l’insuline et qui permet de programmer des ajouts d’insuline avant chaque repas ou en cas d’hyperglycémie. L’insuline est contenue dans le réservoir relié à une ligne d’infusion (tubulure), elle-même reliée à une canule qu’on place sous la peau. Cela ressemble donc à s’y méprendre à une perfusion sous-cutanée.

La programmation de la pompe se fait en utilisant des touches sur le devant de l’appareil. L’écran affiche des menus déroulants comme un téléphone portable ou un petit appareil électronique. Le changement du cathéter doit se faire tous les deux ou trois jours.  Le changement du chargeur est en fonction de la programmation voulue par le médecin.

Un patient jeune et alerte pourrait apprendre à se servir lui-même de sa pompe à insuline. Mais ici, les deux patientes étaient très âgées et malvoyantes. Seules, elles ne pouvaient ni placer la canule ni régler la pompe. Et vu leur âge et leur état, il était peu probable que cette situation changeât.

Alors, sur prescription du médecin, les infirmières se rendaient tous les 2 jours chez ces patientes. Elles retiraient le cathéter puis posaient la pompe tous les 2 jours. Elles cotaient AMI 14 la pose de cette pompe, AMI5 le retrait.

Mais la CPAM a tout à coup décidé que cette cotation n’était pas la bonne. Les infirmières furent poursuivies en remboursement et le traitement interrompu. Dans l’attente de la décision du tribunal, le médecin a dû revenir au traitement par piqûres, plusieurs fois par jour. Moins efficace, désagréable et pas tellement moins cher .

La CPAM fondait sa position sur l’art.10 du chapitre I « SOINS DE PRATIQUE COURANTE, surveillance et observation d’un patient à domicile » et plus particulièrement d’une disposition qui mentionne « surveillance et observation d’un patient lors de la mise en œuvre d’un traitement ou lors de la modification de celui-ci, sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants, avec établissement d’une fiche de surveillance, avec un maximum de quinze jours, par jour : 1AMI »

Absurde, car l’article ci-dessus ne s’applique justement pas aux patients diabétiques insulino-dépendants puisqu’il est écrit en toutes lettres :  sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants.

Et pourtant la commission de recours amiable avait confirmé cette position. A croire que le souci de rééquilibrer les comptes de l’assurance maladie affecterait parfois certaines facultés essentielles.

Une seringue prête à piquer tenue par une main droite couverte d'un gant transparent et la main gauche tenant un coton
un shadock avec un livre ouvert. On peut lire les syllabes : GA-ZO-BU-MEU

Pour ceux qui voudraient savoir pourquoi les shadocks n’ont que 4 mots de vocabulaire : « Ga, Zo, Bu, Meu », la vidéo est en bas de l’article  …

Mieux encore, la CPAM prétendait revenir sur l’avis de son propre médecin-conseil.  Car, avant de coter AMI 14, les infirmières et le médecin traitant avaient pris soin d’interroger le médecin conseil compétent et celui-ci leur avait indiqué lui-même cette cotation, qu’elles avaient appliquée. Las, un an plus tard elles recevaient une notification d’indû.

Le médecin conseil avait pourtant écrit : « après discussion avec le département des actes, celui-ci justifie désormais la cotation d’une séance de perfusion sous-cutanée lors de la préparation du dispositif, son remplissage, le réglage du débit et la pose de la perfusion sous-cutanée, soit AMI 14 ; de même lors de changements de dispositif ».    Il ajoutait : «ces cotations doivent avoir un caractère exceptionnel et transitoire » .

La CPAM se prévalait de ces mots  « exceptionnel et transitoire »  pour prétendre ne plus rembourser ces soins au-delà de 15 jours, et elle avait eu recours (en toute absurdité) à l’art.10 cité plus haut.

Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale rappelle que « transitoire » (de transit) ne signifie pas qu’un état dure 15 jours. « Transitoire » signifie que l’on est dans l’attente d’un texte nouveau qui peut-être est déjà « dans les tuyaux ». Dans l’intervalle, on applique l’ancien, c’est-à-dire ici la cotation des perfusions, car la pompe à insuline n’est autre qu’une perfusion sous-cutanée. Cette cotation est « exceptionnelle » car elle ne doit pas devenir une règle, puisqu’elle est transitoire.

Mais cette cotation est bien AMI 14. Le tribunal rappelle aussi que l’avis du médecin conseil lie la CPAM.  Le tribunal indique enfin que les demandes qui n’ont pas fait l’objet de la notification d’indû (les retraits de la pompe cotés AMI 5) sont irrecevables.

Surtout, dans cette décision,  le tribunal pose le principe général que la pompe à insuline (dans l’attente d’un article spécifique de la NGAP) est soumise à la nomenclature des perfusions sous-cutanées. Et le tribunal ajoute ceci au sujet de la position de la CPAM : « qu’enfin cela revient à priver les patients de soins adaptés à leur état, ce qui est contraire au principe constitutionnel d’égalité ».

Avec cette phrase, un grand pas est franchi. Le tribunal a compris que ce ne sont pas les soignants mais bien les deux mamies qui étaient lésées par cette notification d’indus. Car ce sont les patients, qui ont cotisé toute leur vie, et qui voient les remboursements de soins rétrécir comme la fameuse peau de chagrin*.

un dessin représentant le héros du roman "La peau de Chagrin" de Balzac, accrochant au mur la peau de chagrin, sous le regard d'un personnage équivoque qui l'éclaire avec une lampe à huile.

«Accroché sur le mur à un clou précisément au dessus du siège où il s’était assis, un morceau de chagrin, dont la dimension n’excédait pas celle d’une peau de renard, paraissait projeter des rayons lumineux…
« La peau de chagrin », Honoré de Balzac, 1831

Grands absents de ce contentieux des indus, il importe de rappeler aux juges que les patients sont le sujet principal. Il fallait évoquer ces deux ancêtres à moitié aveugles, aux doigts déformés par l’âge… les voilà qui doivent elles-mêmes trouver comment placer la fine canule sous leur peau ridée qui se dérobe. Leurs tympans roides ne vibrent plus aux signaux d’alerte de l’appareil, leurs doigts gourds tâtent fébrilement les minuscules boutons plastique, alors que la pompe délivre au hasard n’importe quelle dose, dans leur corps déjà épuisé par l’âge.

Le tribunal a compris ce qui se cachait derrière cette notification d’indû. Sa décision nous invite a revenir à l’essentiel : «  Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. » (art.L110-5 CSP).

Mais laissons les deux patientes, désormais bien équipées, déguster cette victoire avec un peu de sucre.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat du Barreau de Paris

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Tempête persistante sur les AIS 3 – Le revenu des IDEL rétrécit au passage …

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le naufrage du Titanic au moment où la coque du navire se coupe en deux, et qu'une partie est déjà englouti . Il fait nuit et le ciel est étoilé, aucun autre navire à l'horizon.

«Je m’étais couché depuis dix minutes; lorsque vers 10 h15, je sentis un petit choc, puis un second pas assez sérieux pour inquiéter personne. Cependant les machines s’arrêtèrent.

J’allai sur le pont et j’y trouvai quelques autres passagers venus comme moi savoir pourquoi le vapeur s’était arrêté. Mais personne ne semblait inquiet. ……. »

Récit de Monsieur Lawrence Beesley, passager du canot n°13 du Titanic

Par un arrêt du 28 juin 2017 (chambre sociale 14, 2017/1021), la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE vient encore d’enfoncer un clou supplémentaire dans l’esquif des infirmières libérales.

Alors que le 7 mars 2017, comme nous l’avons rappelé dans l’article « Durée  des AIS 3 : le temps suspend son vol »,  la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation (lire l’Arrêt entier sur LegiFrance) approuvait la Cour d’appel de Pau d’avoir rappelé que 2AIS3 (rebaptisés AIS6 pour l’occasion) correspondent à une durée comprise entre 30 minutes et une heure (et non pas nécessairement à une heure entière), 

« Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable, l’arrêt énonce par motifs propres et adoptés, …, que Mme X… surcotait en AIS 6 les actes de ses collaboratrices, non déclarées comme telles, cotés par elles en AIS 3, que les trois actes pratiqués auprès d’une patiente, cotés AIS 6 duraient, selon cette dernière, cinq minutes, et qu’elle n’avait en aucun cas été douchée par Mme X…, alors que la cotation AIS 6 imposait des soins d’une durée de 30 minutes à une heure ; que coter des soins qui duraient vingt minutes, selon Mme X…, au lieu de 30 à 60 minutes, établit l’intention frauduleuse pour ces soins infirmiers « 

La Cour d’Appel d’AIX en PROVENCE continue d’égrener le credo suivant lequel 2AIS3 = 1H entière, c’est-à-dire 60 minutes et non pas « 30 à 60 minutes ». C’est même assez étonnant car, dans nombre de cas, les Caisses elles-mêmes soutiennent, semble-t-il, elles-mêmes que la cotation 2 AIS3 représente une durée de 30 à 60 minutes, ainsi qu’on en a la preuve dans de nombreux dossiers.

Ici, l’infirmière qui a eu l’imprudence de dire qu’elle travaillait 14 H par jour se voit mécaniquement accorder non pas 34 mais 28 AIS3 par jour :

« Concernant l’amplitude horaire quotidienne, Madame L. ne peut se prévaloir d’un total de 34 AIS3 par jour puisque, se basant sur ses propres déclarations, la caisse a calculé le total des AIS3 sur la base de 14 heures de travail par jour, aboutissant à 28 AIS3 (de 30 minutes chacune, selon la NGAP). »

Ce que l’infirmière a probablement voulu dire, c’est qu’elle agit directement sur le corps du patient 14H00 par jour.  Mais elle a fait abstraction du temps de préparation de son planning, des coups de téléphone constants, de ses temps de trajet, de la réflexion qu’elle fait sur le traitement du patient  (elle y pense probablement encore, pendant des temps que l’on croit être des « repos »).  Le temps « de  travail » de l’infirmier est un concept actuellement compris de manière erronée car tout est traité comme si  l’infirmier était un simple exécutant dont l’activité n’est que manuelle, et qui ne « travaille » que lorsque l’aiguille est dans la veine du patient…..Il y a donc toute une éducation à refaire de ce côté-là. Peut-être vaudrait-il mieux parler « d’activité » que de travail , afin d’éviter la confusion entre le travail d’un soignant et celui effectué sur une machine qui nécessite la présence sur une chaîne de production. C’est là un sujet presque philosophique (lire, lire et encore relire : « la condition ouvrière », Simone Weil : « la première difficulté à vaincre est l’ignorance« ).

L’arrêt est tellement elliptique sur le rappel des moyens des parties qu’on se demande si un pourvoi en Cassation aurait des chances d’aboutir. D’autant que (comme signalé dans un précédent article) la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation approuve, sans même un commentaire, les CPAM d’avoir « décidé » (en vertu de quel texte ?) que le nombre d’AIS3 devait être limité « afin de garantir aux patients une certaine qualité de soins ». Cette pratique de la CPAM est simplement rapportée comme un fait non contestable et qui n’est pas discuté : « l’arrêt retient que la caisse a décidé de limiter le nombre des AI3S quotidiens pour garantir la qualité des soins dispensés à des patients particulièrement dépendants ». (arrêt Cour de Cassation, Chambre Civile, 9 mars 2017 ).

On sait que les infirmiers sont actifs samedi et dimanche, jour et/ou nuit, car la maladie de leurs patients dépendants (ceux qui sont bénéficiaires des AIS3) ne connaît pas de congés ni de trêve. C’est pourquoi ils sont obligés de se relayer à plusieurs pour maintenir ces patients-là (ceux qui sont dans un état souvent proche du naufrage) à domicile. Mais rêvons un instant d’un infirmier qui serait salarié et qui travaillerait 35H par semaine avec les mêmes congés payés (oui payés) qu’un salarié ou un fonctionnaire, et qui ne ferait que des AIS3.

Etant donné le tarif d’un AIS3 (3x 2,65 = 7,95EUR), si l’on prétend qu’un infirmier doit passer 1H00 pour 2AIS3, cela donne un tarif pour 1H00 de 2 x 7,95 = 15,90euros/H brut. Or l’infirmier libéral supporte au moins 40% de charges  puisqu’il paie une partie de ses propres charges sociales (une autre partie étant à charge de la CPAM) mais doit aussi financer son local, son véhicule, le carburant, l’assurance, les parcmètres (beaucoup plus chers que le prix d’une piqûre !), le lavage de ses blouses, le paiement d’une association de gestion agréée, d’un expert comptable, ses repas pris à l’extérieur, la contribution foncière des entreprises,  le téléphone et la consommation téléphonique, son matériel bureautique et de télétransmission , le contrat d’évacuation des déchets de soins (déchets dangereux), ses frais de formation professionnelle, son assurance RC, les commissions que lui prend sa banque pour abriter son compte professionnel, les intérêts sur les emprunts d’acquisition d’un cabinet…..  Il lui restera donc en net 60% de cette somme soit 6,36 EUROS/H.

Un infirmier qui travaillerait 35H /semaine étalées sur 5 jours ouvrables, et qui n’accomplirait que des AIS3  gagnerait donc 6,36 X 35/5 par jour ouvrable soit 44,52 EUROS nets par jour ouvrable. Dans chaque semaine il y aurait 5 jours ouvrables. Il y aurait 5 semaines par an pendant lesquelles par hypothèse (et toujours pour comparer avec un salarié) l’infirmier libéral ne travaillerait pas et ne facturerait pas. Donc il ne resterait que 52-5 = 47 semaines où l’infirmier pourrait facturer et gagner 44,52 EUR par jour.

Donc l’infirmier gagnerait en réalité, par mois, 44, 52EUR x 5 x 47 semaines = 10.462,20EUR soit (divisé par 12 mois ) 871,85EUROS nets par mois. Le SMIC net est à ce jour de 1149,07EUR.

Ce calcul est encore faux car selon certaines associations de gestion agréée, les frais des infirmiers libéraux seraient de 45% et non 40% de leur chiffre d’affaires.

Il faut donc en finir avec la légende des AIS 3 qui constitueraient « l’un des actes les plus rentables » (entendu de la bouche d’une représentante de CPAM devant une Cour d’Appel). Mais ce qui est plus grave, c’est que les patients dépendants (ceux très malades ou en fin de vie) maintenus pour l’instant à domicile, pourraient bientôt se retrouver abandonnés, ou hospitalisés, par le jeu arithmétique d’une diminution du nombre de séances de soins x le nombre d’infirmiers admis à exercer dans une « zone », ou encore par une désertion des infirmiers qui ne pourraient, raisonnablement, survivre, si la progression de ce raisonnement jurisprudentiel se poursuivait.

Catherine Marie KLINGLER – avocat au Barreau de Paris

Le portrait de jeune femme de Nicolas Pickenoy de 1632, détourné lors du Getty Museum Challenge. A droite, c'est une photo d'une femme avec des rouleaux de papier toilette autour du cou en guise de fraise du XVIIème siècle.

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Durée des AIS 3 : le temps suspend son vol

Durée des AIS 3 : le temps suspend son vol

Une statue de la Déesse de la Raison. Elle est assise sur un lion, avec la main droite posée sur le lion et la main gauche levée en brandissant une torche

« Descends ô Liberté, fille de la nature,
le peuple a reconquis son pouvoir immortel,
Sur les pompeux débris de l’antique imposture, ses mains relèvent ton autel.
Venez, vainqueurs des rois, l’Europe vous contemple,
Venez sur les faux dieux, Toi, sainte Liberté, viens habiter ce temple.
Sois la déesse des Français ! » 

Hymne à la déesse Raison, paroles de Chénier, musique de Gossec

La Cour de Cassation, chambre criminelle, a rendu le 7 mars 2017 un arrêt concernant une infirmière poursuivie pour fraude sur ses indemnités kilométriques et sur la durée des soins AIS 3.  L’infirmière, confrontée à des allégations de patients dépendants, avait, bien naïvement, communiqué son estimation de ses horaires (on sait maintenant que ces patients ne sont malheureusement pas tous en état de fournir des réponses cohérentes).

Une fois n’est pas coutume, la CPAM n’avait pas poursuivi l’infirmière pour escroquerie (passible de 3 ans de prison) mais pour fausse déclaration en vue d’obtenir des prestations sociales. Ce délit passible de 5000EUR d’amende minimum était (au moment des faits ) prévu par l’art.L114-13 du code de la Sécurité Sociale, qui fut abrogé le 23 décembre 2013. Attention car les faits commis après cette date sont désormais systématiquement poursuivis pour escroquerie : puisque L114-13 n’existe plus, d’un coup de baguette magique de simples fraudeurs se sont transformés en escrocs….

Après avoir balayé les arguments relatifs au « droit de se taire » (introduit par la loi du 27 mai 2014 qui n’était pas encore en vigueur au moment de l’enquête), la Cour de Cassation considère que la Cour d’Appel de Pau a correctement motivé son arrêt en condamnant l’infirmière pour fraude.

On retiendra particulièrement ce passage de l’arrêt de la Cour d’Appel de Pau qui est approuvé par la Cour de Cassation comme étant une motivation correcte :

Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable, l’arrêt énonce par motifs propres et adoptés, …, que Mme X… surcotait en AIS 6 les actes de ses collaboratrices, non déclarées comme telles, cotés par elles en AIS 3, que les trois actes pratiqués auprès d’une patiente, cotés AIS 6 duraient, selon cette dernière, cinq minutes, et qu’elle n’avait en aucun cas été douchée par Mme X…, alors que la cotation AIS 6 imposait des soins d’une durée de 30 minutes à une heure ; que coter des soins qui duraient vingt minutes, selon Mme X…, au lieu de 30 à 60 minutes, établit l’intention frauduleuse pour ces soins infirmiers.

La chambre criminelle approuve donc la Cour d’appel de Pau d’avoir rappelé que 2 AIS 3 (ici baptisés AIS 6) correspondent à une durée comprise entre 30 minutes et une heure.

Mais, à quelques mètres de là, deux jours plus tard, la 2ème chambre civile de la même Cour de Cassation rendait un nouvel arrêt le 9 mars 2017 qui consacre une série de décisions sur le même thème, celui des AIS 3.

Et la 2ème chambre civile continue de reproduire l’argumentation des Caisses qui convertissent mécaniquement 34 AIS 3 en 17H00 de temps passé.

C’est ainsi qu’un nouvel arrêt de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE (chambre sociale) reçoit la bénédiction de la Haute Cour :

Mais attendu qu’après avoir rappelé que, selon l’article 11 de la nomenclature générale des actes professionnels, la séance de soins infirmiers à domicile, d’une durée d’une demi-heure, comprend l’ensemble des actions de soins liées aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie visant à protéger, maintenir, restaurer ou compenser les capacités d’autonomie de la personne et que, à plusieurs reprises, M. X… avait facturé plus de trente-quatre actes AI3S par jour, soit plus de dix-sept heures de travail, l’arrêt retient que la caisse a décidé de limiter le nombre des AIS 3 quotidiens pour garantir la qualité des soins dispensés à des patients particulièrement dépendants ; que l’amplitude de travail à laquelle aboutit l’application de ce seuil est donc parfaitement raisonnable ; que la démarche de soins infirmiers (DSI) acceptée par la caisse répond exclusivement à une demande validée par un médecin, portant sur la prescription d’un certain nombre de séances de soins infirmiers par tranches de vingt-quatre heures et pour un patient nommément désigné ; que l’accord, explicite ou tacite, de la caisse ne valide nullement l’activité journalière du personnel infirmier et qu’il ne vaut que si les conditions de délivrance des soins s’accordent aux règles de prise en charge ; Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a exactement décidé que les actes litigieux ne respectaient pas les règles de tarification ou de facturation, de sorte que la caisse était fondée à récupérer l’indu correspondant ; 

La 2ème chambre civile ne semble pas avoir connaissance de ce que, dans de nombreuses affaires, les CPAM reconnaissent elles-mêmes que la 2ème 1/2H entamée justifie un 2ème AIS 3. Cette indication figurait même clairement jusqu’à 2016 (il en a été dressé un constat d’huissier avant que cela ne s’efface) sur le site ameli.fr, dans un guide mis en ligne par la CPAM du HAINAUT (59).

Il y a donc clairement une cacophonie de décisions de Justice, puisque la Cour d’AIX EN PROVENCE (chambre sociale) considère que 2 AIS 3 =1H, tandis que la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Pau considère que 2 AIS 3= une durée comprise entre 1/2H et 1H. Toutes les deux sont approuvées par la Cour de Cassation, l’une par la 2ème chambre et l’autre par la chambre criminelle, à 48H d’intervalle….

La 2ème chambre civile, tout comme la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, réintroduit la notion d’un quota maximum d’actes puisqu’elle approuve, sans même un commentaire, les CPAM d’avoir « décidé » (en vertu de quel texte ?) que le nombre d’AIS 3 devait être limité « afin de garantir aux patients une certaine qualité de soins ». Cette pratique de la CPAM est simplement rapportée comme un fait non contestable et qui n’est pas discuté : l’arrêt retient que la caisse a décidé de limiter le nombre des AIS 3 quotidiens pour garantir la qualité des soins dispensés à des patients particulièrement dépendants ».

De fait, nous savons que dans certaines zones, cela contraint les infirmiers à refuser des patients (qui ne trouveront pas d’autre infirmier, grâce à l’ingénieux système de numerus clausus autrement appelé « zonage »).

Aucun texte n’est cité pour expliquer ce qui permet à la CPAM (personne de Droit privé) d’imposer une telle limitation ni de la traduire en « qualité de soins ».  Il s’agit là d’une énonciation de ce qui est bien : « l’amplitude de travail à laquelle aboutit l’application de ce seuil est donc parfaitement raisonnable ».

Un dérapage temporel aurait-il ramené parmi nous la déesse Raison et son culte ? Ou alors Saint Louis (1252) sous son chêne ? Ce ne serait pas si mal au fond par les temps qui courent…ces deux personnages nous manquent bien!  mais une question demeure:  qui, de nos jours, serait encore capable d’aller toucher les écrouelles ?

Catherine Marie KLINGLER – avocat au Barreau de Paris

Le portrait de jeune femme de Nicolas Pickenoy de 1632, détourné lors du Getty Museum Challenge. A droite, c'est une photo d'une femme avec des rouleaux de papier toilette autour du cou en guise de fraise du XVIIème siècle.

Contrat de collaboration : ne changez pas un mot ! 

Détournement du Portrait de Jeune Femme par Nicolas Pickenoy, 1632, lors du Getty Museum ChallengeL’affaire concerne un litige entre deux infirmières libérales. À l’issue d’un contrat de collaboration, l’infirmière titulaire était désireuse de mettre en place un...
infirmière pointant une horloge en regardant l'interlocuteur

AIS3 :  la fin d’un long combat ?

L’ancienne cotation AIS3 qui correspondait à une «  séance de soins infirmiers par séance d'une demi-heure à raison de 4 maximum par 24 heures » a donné lieu à un énorme contentieux des infirmiers libéraux contre les Caisses depuis presque 10 ans, relativement à la...
une image de la comptine "Compère Guilleri". Guilleri, blessé à la jambe pendant une chasse, est secouru par 3 infirmières attentionnées qui le pansent. En-dessous de l'image est la partition de musique de la chanson.

Le compérage dans les professions de santé

L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours Ma commère la Carpe y faisait mille tours Avec le Brochet son compère (La Fontaine, fables , VII N°4) Le compérage est une atteinte à la règle du libre choix du professionnel de santé par les patients. Pour qu’il...
Un camion transportant toutes sortes de denrées comestibles avec en haut l'inscription "Chez MIMI" avec, ajouté en route "infirmière"

L’exercice forain des professions de santé est-il encore contraire à leur dignité ?

Un arrêt pittoresque rendu par la Cour d'Appel de Toulouse le 10 décembre 2019  réussit à nous décrocher un sourire en ce début d’année plutôt morose. L’exercice forain de la profession d’infirmier est interdit par l’article R4312-75 du code de la santé publique,...
des gélules éparses au milieu desquelles se trouve une carte VITALE

La distribution de médicaments à des personnes atteintes de troubles cognitifs est-elle un acte remboursable ?

Depuis le 18 juillet 2019 (attention, entrée en vigueur différée, voir art.5 du texte) , cela ne fait aucun doute, à condition que ce soit par voie orale, la distribution de médicaments à de tels patients est remboursée. La nomenclature infirmière a été modifiée et il...
Un tableau du XVIIIème, montrant un agent en uniforme prête serment en levant la main droite face à un livre ouvert intitulé "la Constitution Française". Le livre est tenu par une femme avec un casque et des plumes tricolores bleues, blanches, et rouges.

Un indû annulé: la CPAM rappelée à l’ordre pour ne pas avoir respecté les règles d’agrément et d’assermentation de ses agents enquêteurs

La prestation de serment de l’agent enquêteur de la CPAM est une condition essentielle de la validité de l’enquête. Par un arrêt du 22 mars 2019, la Cour d’Appel d’Aix en Provence juge qu’un enquêteur n’était pas valablement assermenté lorsqu’il a procédé à l’enquête...
une photo en noir et blanc d'un enfant d'environ 5 ans, qui a sur la tête une couronne de papier avec 2 oreilles et la mention "ANE" . Il pleure et s'essuie les yeux avec sa main repliée.

Du nouveau pour les indemnités horokilométriques des infirmiers…

La Cour d’Appel d’Aix en Provence donne une leçon magistrale sur la définition de l'"agglomération" pour le calcul de ces indemnités.  Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour d’Appel d’Aix en Provence sanctionne l’interprétation erronée de la CPAM des Bouches du...
Le fameux tableau de Géricault intitulé "le radeau de la Méduse" où on voit des personnes désespérées sur un radeau qui vogue sur une mer déchainée.

« SOS infirmières » lance un appel de détresse à l’Autorité de la Concurrence

« Ceux que la mort avait épargnés […] se précipitèrent sur les cadavres dont le radeau était couvert, les coupèrent par tranches et quelques-uns les dévorèrent à l’instant ». (récit de J.-B.Savigny, médecin, survivant du radeau de la Méduse ») Après les tribulations...
un poussin qui protège un oeuf avec une de ses pattes et en s'asseyant dessus

Le collaborateur infirmier doit pouvoir développer sa propre patientèle

Le contrat de collaboration infirmier qui ne mentionne pas que le collaborateur peut développer sa patientèle personnelle pendant sa collaboration est nul : On croirait enfoncer des portes ouvertes, et pourtant voilà un point qui a fait l’objet d’une âpre discussion,...
Un shadock devant un boulier avec la légende "C'est pas parce que Un et UN font DEUX que deux et deux ont le droit de faire QUATRE

Une transaction avec la CPAM annulée par la Cour d’Appel : l’infirmière est déchargée de son indû

LES CALCULS DE LA CPAM N’ONT PAS SU CONVAINCRE... Les faits L’affaire concerne un cas désormais classique, mais jamais encore jugé en ce sens. Une Caisse Primaire avait procédé à un sondage statistique sur la facturation des soins par une infirmière. La Caisse en...

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Révolte des infirmiers de Savoie : les indemnités horo-kilométriques en chute libre

Révolte des infirmiers de Savoie : les indemnités horo-kilométriques en chute libre

le tableau d'un chien de race Saint Bernard (chien sauveteur de montagne), avec un tonneau accroché au collier sur lequel on a ajouté une coiffe blanche avec une croix rouge

Je suis essentiellement Savoisien, et moi et tous les miens,
et ne saurais jamais être autre chose.
»
St François – et non Saint Bernard ! – de Sales, 1567–1622 

Liés avec l’Union des Caisses Nationales d’Assurance Maladie par une convention du 22 juin 2007 que leurs syndicats ont omis (oups) de dénoncer avant sa dernière échéance de 2012, les infirmiers libéraux ne peuvent (sauf cas rarissimes) pratiquer de dépassements d’honoraires. Ils sont quasi-totalement rémunérés par le système du tiers payant, au « tarif » dit « de la Sécurité Sociale », c’est-à-dire au tarif que les assurances sociales acceptent de rembourser au patient pour chaque acte, et qui en l’occurrence est versé directement à l’infirmier.

Aux origines de la Sécurité Sociale (1945), le processus conventionnel était déterminant, et les tarifs des soignants devaient être négociés avec leurs syndicats (voir le document de l’IRDES – Institut de Recherche et d’Économie de la Santé –  l’historique des conventions médicales).

Assez vite, non seulement les tarifs des remboursements, mais aussi la définition (donc la description même) des actes médicaux et paramédicaux furent arrêtés unilatéralement par un organe administratif (actuellement l’UNCAM, Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie).

Les actes remboursables et la façon dont il faut les facturer sont définis par la Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP – version actualisée du 4 novembre 2022). Comme les infirmiers ne sont rémunérés qu’au tiers payant, si les actes qu’ils accomplissent ne correspondent pas à une description prévue par la NGAP, ou encore s’ils ne suivent pas strictement le mode de facturation  de ces actes tel qu’il est indiqué par la NGAP, ils courent le risque de devoir rembourser les sommes qu’ils ont perçues. Ils cumulent alors non seulement le risque d’une « notification d’indu » (contentieux de la Sécurité Sociale), mais parfois aussi un risque pénal, et un risque de sanction ordinale.

C’est aussi la NGAP qui détermine le mode de comptage et de facturation des déplacements des infirmiers.

Jusqu’à présent, les dispositions en vigueur semblaient ne pouvoir faire l’objet d’aucune interprétation. Les déplacements des infirmiers sont remboursés de façon forfaitaire (IFD), avec en supplément (lorsque la distance est supérieure à n-kms, dans une autre agglomération…) une indemnité « horokilométrique » (IK) . Ces indemnités ne constituent  pas seulement des remboursements de frais mais compensent aussi le temps perdu

 ( Art. 13.  Frais de déplacement pour actes effectués au domicile du malade.
« Lorsqu’un acte inscrit à la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ou à la Classification commune des actes médicaux (CCAM) doit être effectué au domicile du malade, les frais de déplacement du professionnel de santé sont remboursés en sus de la valeur de l’acte ; ce remboursement est, selon le cas, forfaitaire ou calculé en fonction de la distance parcourue et de la perte de temps subie par le professionnel de santé) .

Le calcul est assez complexe, mais bien rodé.

Ainsi, l’infirmier qui est appelé au chevet d’un patient éloigné (lorsque par hypothèse celui-ci ne trouve personne de plus proche) ne peut, quel que soit le nombre de kms parcourus, facturer que la distance entre le domicile du patient et le cabinet de l’infirmier installé au plus proche du domicile du patient.

La plupart des infirmiers effectuent une « tournée » au cours de laquelle ils visitent un grand nombre de patients dans la journée. Ceci est encore plus vrai en Savoie, où un infirmier peut faire 400kms par jour , sachant que les journées d’un infirmier commencent souvent à 5H00 du matin pour se terminer après 22H00.

Jusqu’alors, les infirmiers, en toute conscience et respect de la NGAP, facturaient la distance entre le cabinet le plus proche et le domicile de chaque patient.

Les infirmiers de Savoie estiment à environ 1/3 de leur temps le temps passé sur les routes, et à environ 1/3 de leurs revenus le montant des  indemnités horokilométriques.

Mais, depuis janvier 2016, la CPAM de Savoie a décidé que les indemnités devraient être calculées différemment. Seuls les km entre le cabinet professionnel le plus proche du premier patient et le domicile de ce premier patient devront être facturés. Ensuite l’infirmier devra calculer les kms de patient à patient (sauf s’ils résident dans la même commune), puis du dernier patient au cabinet le plus proche.

Ce mode de calcul n’est pas du tout celui préconisé par la NGAP.  L’article 13 C 1°) prévoit que l’indemnité est « calculée pour chaque déplacement à partir de son domicile professionnel », sous réserve de respecter, conformément au §2°) la distance entre le cabinet le plus proche du domicile de chaque patient.  Il n’est donc pas mentionné que   le calcul des distances se ferait depuis le domicile d’un patient jusqu’à celui du patient suivant.

Pour imposer un nouveau mode de calcul, la CPAM de Savoie s’appuie sur un arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry chambre sociale n°13/00053 du 10 octobre 2013.

Dans cette affaire, la CPAM a eu l’idée d’écarter le calcul préconisé par les art 13 et 13-1 de la  NGAP, au motif tiré de l’art. L111-2-1 du code de la Sécurité Sociale, un texte de portée très  générale, inscrit au chapitre de l’ « organisation de la Sécurité Sociale » :

« I.-La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de la prise en charge des frais de santé assurée par la sécurité sociale.

La protection contre le risque et les conséquences de la maladie est assurée à chacun, indépendamment de son âge et de son état de santé. Chacun contribue, en fonction de ses ressources, au financement de cette protection.

….En partenariat avec les organisations représentatives des professionnels de santé et les associations agréées en application de l’article L. 1114-1 du code de la santé publique, les organismes gestionnaires des régimes d’assurance maladie concourent, dans les conditions prévues à l’article L. 1411-2 du même code, à la mise en œuvre de la politique nationale de santé définie par l’Etat.

Chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources consacrées par la Nation à l’assurance maladie. »

C’est en écho à cette toute dernière phrase que la Cour d’Appel (ou plutôt la CPAM qui est à l’origine de cet argument) rappelle que les professionnels de santé doivent contribuer au bon usage des ressources de l’assurance maladie.

Et la Cour d’ajouter qu’ « il importe que soit respectée une adéquation, aussi stricte que possible, entre les remboursements de frais de déplacements sollicités par les professionnels de santé et les charges inhérentes à ces trajets, outre les pertes subies au regard de leur activité, et que l’indemnisation reste constamment à la mesure de la distance parcourue, notamment réduite à un forfait, pour les trajets les plus limités dans l’espace ou circonscrits au périmètre d’une agglomération, ou corrigée en considération de la localisation du domicile de l’assuré bénéficiaire de soins à domicile par rapport au domicile professionnel du praticien le plus proche. »

Partant de ce principe, la Cour d’Appel a entériné un calcul purement statistique établi à partir du kilométrage relevé lors d’une révision du véhicule de l’infirmier (!), auquel elle a appliqué un pourcentage de 52,80%, parce que le montant des soins prodigués à des patients dépendant de la CPAM représentait 52,80% du chiffre d’affaires de l’infirmier sur la période considérée.

La Cour d’Appel s’est certainement rendu compte de l’absurdité de ce calcul puisqu’elle prend soin d’indiquer qu’à aucun moment le mode de calcul n’a été critiqué par l’infirmier : le juge ne se prononce que sur ce qui lui est demandé…. Sauf dans certains cas bien précis, si l’une des parties oublie de contester un point, le juge ne viendra pas à son secours. En l’espèce on peut penser que l’infirmier a eu peur d’ « affaiblir » son argumentation principale, en discutant le mode de calcul.

Du coup, la Cour se dispense de s’interroger sur la pertinence du ratio coût des soins/ nombre de kms, et s’empresse d’adopter le calcul de la CPAM. Voilà qui permet un beau coup de filet puisque ce sont 132.092,36EUR qui sont récupérés au détriment d’un infirmier qui n’a fait qu’appliquer aveuglément la NGAP durant 3 ans, et qui n’a jamais fait l’objet d’aucun avertissement, d’aucune alerte au sujet d’une quelconque anomalie.  Selon son témoignage semble-t-il, cet infirmier a été ruiné, il a déposé le bilan et a cessé l’exercice de la profession d’infirmier, pour travailler….dans le BTP (une profession qui sera sans doute plus lucrative). Cet infirmier explique qu’il était seul à visiter chaque jour des malades isolés, en montagne. Gageons que les ressources de l’assurance maladie sont  bien mieux utilisées depuis que ces patients, jusqu’alors maintenus à domicile, auront pris le chemin de l’hôpital.

L’arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry n’a pas été frappé de pourvoi. Il est donc définitif. Pour autant, un arrêt de la Cour d’Appel n’est pas à confondre avec une loi et notre système judiciaire ne connaît pas la règle du « précédent » en vigueur dans le système de la Common Law. Une décision de Justice peut être contredite par une autre décision contraire, pour peu que des arguments différents soient présentés, ou que d’autres magistrats décident d’avoir une opinion différente.

Il reste qu’actuellement la CPAM s’appuie sur cet arrêt. Un collectif des infirmiers de Savoie s’est donc constitué pour lutter contre la position de la CPAM (encouragée semble-t-il par le Ministère de la Santé) qui souhaite leur imposer ce nouveau mode de calcul. Des  négociations sont en cours et de nombreux sites internet se font l’écho de cette révolte, car semble-t-il la CPAM menace de poursuites pénales tout infirmier qui suivrait les préconisations de la NGAP …..

Eh oui, on peut désormais être condamné à la prison pour ne pas avoir respecté la NGAP, mais aussi pour l’inverse. Le collectif des infirmiers de Savoie ne manquera sans doute pas d’explorer de multiples voies qui débouchent sur autant de questionnements, les uns juridiques, les autres de bon sens.

Les kilomètres parcourus peuvent-il désormais être extrapolés proportionnellement aux  tarifs des soins ? Les médecins et les kinésithérapeutes (dont les indemnités horokilométriques sont calculées à un taux supérieur à celui des infirmiers) gaspillent-ils l’argent de la Sécurité Sociale ? Quel est le ratio nombre de soins infirmiers/ nombre d’hospitalisations ? La CPAM de Savoie fait-elle un bon usage des ressources consacrées par la Nation à l’Assurance Maladie ? Doit-on se préparer à l’anéantissement des règles particulières au profit des premiers chapitres de chaque code? La NGAP est-elle applicable en Savoie, et si oui quels articles ? Si des dispositions d’origine conventionnelle peuvent  à la rigueur  subsister, qu’en est-il en revanche de l’art.L111-2-1 du code de la Sécurité Sociale et ne faut-il pas là aussi penser sérieusement à créer un Droit local de la Savoie (clin d’oeil…)  pour les infirmiers « Savoisiens »?

Il ne reste plus qu’à suivre les actions du collectif des infirmiers de la Savoie et à espérer, pour eux, que de nouveaux arguments soient entendus,  que des décisions soient rendues en sens contraire, ce qui alors pourrait conduire la CPAM à infléchir sa position. On ne peut, bien sûr, terminer cet article sans entonner l’hymne de la Savoie….

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris.

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