En attente d’une cotation spécifique, la pompe à insuline doit être traitée et cotée comme une perfusion sous-cutanée…..

Dans un dessin de Tintin, le capitaine Haddock crache sur un lama qui venait de lui cracher dessus, à la surprise de Tonton et du chien Milou.

Dans un jugement du 13 février 2018, le tribunal des affaires de Sécurité Sociale du LOIRET pose le principe que la pompe à insuline doit se voir appliquer la cotation des perfusions sous-cutanées, jusqu’à ce qu’il existe un article spécial de la NGAP sur les pompes à insuline.

Et il condamne la CPAM à payer à chacune des infirmières une somme de 500 EUR pour les indemniser des frais de procédure.

La CPAM prétendait qualifier ces actes d’AMI 1. De plus, selon la CPAM, au bout de 15 jours de soins, ce n’était plus remboursable. Donc les patientes à moitié aveugles n’avaient qu’à se débrouiller seules avec cet appareil pour qu’il délivre les bonnes doses à la bonne heure.

La pompe à insuline est un dispositif électronique qui administre de façon continue de l’insuline et qui permet de programmer des ajouts d’insuline avant chaque repas ou en cas d’hyperglycémie. L’insuline est contenue dans le réservoir relié à une ligne d’infusion (tubulure), elle-même reliée à une canule qu’on place sous la peau. Cela ressemble donc à s’y méprendre à une perfusion sous-cutanée.

La programmation de la pompe se fait en utilisant des touches sur le devant de l’appareil. L’écran affiche des menus déroulants comme un téléphone portable ou un petit appareil électronique. Le changement du cathéter doit se faire tous les deux ou trois jours.  Le changement du chargeur est en fonction de la programmation voulue par le médecin.

Un patient jeune et alerte pourrait apprendre à se servir lui-même de sa pompe à insuline. Mais ici, les deux patientes étaient très âgées et malvoyantes. Seules, elles ne pouvaient ni placer la canule ni régler la pompe. Et vu leur âge et leur état, il était peu probable que cette situation changeât.

Alors, sur prescription du médecin, les infirmières se rendaient tous les 2 jours chez ces patientes. Elles retiraient le cathéter puis posaient la pompe tous les 2 jours. Elles cotaient AMI 14 la pose de cette pompe, AMI5 le retrait.

Mais la CPAM a tout à coup décidé que cette cotation n’était pas la bonne. Les infirmières furent poursuivies en remboursement et le traitement interrompu. Dans l’attente de la décision du tribunal, le médecin a dû revenir au traitement par piqûres, plusieurs fois par jour. Moins efficace, désagréable et pas tellement moins cher .

La CPAM fondait sa position sur l’art.10 du chapitre I « SOINS DE PRATIQUE COURANTE, surveillance et observation d’un patient à domicile » et plus particulièrement d’une disposition qui mentionne « surveillance et observation d’un patient lors de la mise en œuvre d’un traitement ou lors de la modification de celui-ci, sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants, avec établissement d’une fiche de surveillance, avec un maximum de quinze jours, par jour : 1AMI »

Absurde, car l’article ci-dessus ne s’applique justement pas aux patients diabétiques insulino-dépendants puisqu’il est écrit en toutes lettres :  sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants.

Et pourtant la commission de recours amiable avait confirmé cette position. A croire que le souci de rééquilibrer les comptes de l’assurance maladie affecterait parfois certaines facultés essentielles.

Une seringue prête à piquer tenue par une main droite couverte d'un gant transparent et la main gauche tenant un coton
un shadock avec un livre ouvert. On peut lire les syllabes : GA-ZO-BU-MEU

Pour ceux qui voudraient savoir pourquoi les shadocks n’ont que 4 mots de vocabulaire : « Ga, Zo, Bu, Meu », la vidéo est en bas de l’article  …

Mieux encore, la CPAM prétendait revenir sur l’avis de son propre médecin-conseil.  Car, avant de coter AMI 14, les infirmières et le médecin traitant avaient pris soin d’interroger le médecin conseil compétent et celui-ci leur avait indiqué lui-même cette cotation, qu’elles avaient appliquée. Las, un an plus tard elles recevaient une notification d’indû.

Le médecin conseil avait pourtant écrit : « après discussion avec le département des actes, celui-ci justifie désormais la cotation d’une séance de perfusion sous-cutanée lors de la préparation du dispositif, son remplissage, le réglage du débit et la pose de la perfusion sous-cutanée, soit AMI 14 ; de même lors de changements de dispositif ».    Il ajoutait : «ces cotations doivent avoir un caractère exceptionnel et transitoire » .

La CPAM se prévalait de ces mots  « exceptionnel et transitoire »  pour prétendre ne plus rembourser ces soins au-delà de 15 jours, et elle avait eu recours (en toute absurdité) à l’art.10 cité plus haut.

Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale rappelle que « transitoire » (de transit) ne signifie pas qu’un état dure 15 jours. « Transitoire » signifie que l’on est dans l’attente d’un texte nouveau qui peut-être est déjà « dans les tuyaux ». Dans l’intervalle, on applique l’ancien, c’est-à-dire ici la cotation des perfusions, car la pompe à insuline n’est autre qu’une perfusion sous-cutanée. Cette cotation est « exceptionnelle » car elle ne doit pas devenir une règle, puisqu’elle est transitoire.

Mais cette cotation est bien AMI 14. Le tribunal rappelle aussi que l’avis du médecin conseil lie la CPAM.  Le tribunal indique enfin que les demandes qui n’ont pas fait l’objet de la notification d’indû (les retraits de la pompe cotés AMI 5) sont irrecevables.

Surtout, dans cette décision,  le tribunal pose le principe général que la pompe à insuline (dans l’attente d’un article spécifique de la NGAP) est soumise à la nomenclature des perfusions sous-cutanées. Et le tribunal ajoute ceci au sujet de la position de la CPAM : « qu’enfin cela revient à priver les patients de soins adaptés à leur état, ce qui est contraire au principe constitutionnel d’égalité ».

Avec cette phrase, un grand pas est franchi. Le tribunal a compris que ce ne sont pas les soignants mais bien les deux mamies qui étaient lésées par cette notification d’indus. Car ce sont les patients, qui ont cotisé toute leur vie, et qui voient les remboursements de soins rétrécir comme la fameuse peau de chagrin*.

un dessin représentant le héros du roman "La peau de Chagrin" de Balzac, accrochant au mur la peau de chagrin, sous le regard d'un personnage équivoque qui l'éclaire avec une lampe à huile.

«Accroché sur le mur à un clou précisément au dessus du siège où il s’était assis, un morceau de chagrin, dont la dimension n’excédait pas celle d’une peau de renard, paraissait projeter des rayons lumineux…
« La peau de chagrin », Honoré de Balzac, 1831

Grands absents de ce contentieux des indus, il importe de rappeler aux juges que les patients sont le sujet principal. Il fallait évoquer ces deux ancêtres à moitié aveugles, aux doigts déformés par l’âge… les voilà qui doivent elles-mêmes trouver comment placer la fine canule sous leur peau ridée qui se dérobe. Leurs tympans roides ne vibrent plus aux signaux d’alerte de l’appareil, leurs doigts gourds tâtent fébrilement les minuscules boutons plastique, alors que la pompe délivre au hasard n’importe quelle dose, dans leur corps déjà épuisé par l’âge.

Le tribunal a compris ce qui se cachait derrière cette notification d’indû. Sa décision nous invite a revenir à l’essentiel : «  Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. » (art.L110-5 CSP).

Mais laissons les deux patientes, désormais bien équipées, déguster cette victoire avec un peu de sucre.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat du Barreau de Paris

Abonnez-vous à notre newsletter !

3 + 8 =