Un indû annulé: la CPAM rappelée à l’ordre pour ne pas avoir respecté les règles d’agrément et d’assermentation de ses agents enquêteurs

Un tableau du XVIIIème, montrant un agent en uniforme prête serment en levant la main droite face à un livre ouvert intitulé "la Constitution Française". Le livre est tenu par une femme avec un casque et des plumes tricolores bleues, blanches, et rouges.

La prestation de serment de l’agent enquêteur de la CPAM est une condition essentielle de la validité de l’enquête.

Par un arrêt du 22 mars 2019, la Cour d’Appel d’Aix en Provence juge qu’un enquêteur n’était pas valablement assermenté lorsqu’il a procédé à l’enquête et que celle-ci est nulle.

Il faut malheureusement signaler que cette décision a été cassée par la Cour de Cassation en 2022.

Il s’agissait à nouveau pour la CPAM de demander à un infirmier de rembourser des sommes importantes au titre d’une prétendue « sur-activité » (en l’occurrence un nombre d’AIS3 considéré comme trop important).

La CPAM avait déclenché une procédure de notification d’indû à la suite d’une enquête administrative.

L’enquête avait été réalisée en septembre 2011 par un agent dit « assermenté ».

En première instance, l’infirmier avait demandé la communication du serment prêté par l’enquêteur, demande qui fut dédaignée par la CPAM.

Les demandes de la Caisse furent alors rejetées. Le tribunal avait considéré que la CPAM ne prouvait pas que l’enquêteur fût assermenté et qu’en ne répondant pas aux conclusions de l’infirmier, elle ne permettait pas au tribunal de faire droit aux demandes de la CPAM.

En appel, la Caisse communiquait enfin la copie de la carte professionnelle de l’agent. On s’apercevait alors qu’il existait plusieurs versions de cette carte, avec différentes dates d’agrément et différentes dates de prestations de serment.

L’une des cartes était même bizarrement raturée et surchargée …. la date de prestation de serment qui initialement était du 5 octobre 2009 avait été raturée et transformée en 10 octobre 2011 , sur une carte strictement identique.

En insistant pour avoir communication de tous les documents (agréments et prestations de serment), on finissait par reconstituer la chronologie de l’agrément et de la prestation de serment…

Un dessin du lapin de l'histoire d'Alice au pays des merveilles. Il marche dans la campagne avec son parapluie sous le bras et porte une montre à gousset qu'il regarde pensivement.

La CPAM avait pris un an de retard dans la procédure administrative d’agrément et de serment. L’enquêteur était tantôt non agréé tantôt non encore assermenté. Selon la Cour, il existait une « discontinuité » dans ses fonctions.

L’enquêteur avait d’abord fait l’objet d’une demande d’agrément qui donnait lieu à une « autorisation provisoire ». Mais alors que de telles autorisations sont valables 2x 6 mois maximum, ce qui signifie que l’agrément doit être donné dans le délai d’un an maximum, il n’avait obtenu l’agrément que 2 ans après.

La Cour en déduit qu’il y avait peut-être une « discontinuité »  dans ses fonctions.

L’enquêteur avait prêté serment le 5 octobre 2009 mais au titre de son autorisation provisoire. Comme celle-ci ne pouvait plus produire d’effets au-delà d’un an, et après qu’il eût obtenu l’agrément le 4 mai 2011 (presque deux ans après…) , la CPAM faisait prêter serment à l’agent le 10 octobre 2011.

Or l’agent avait réalisé son enquête en septembre 2011, date à laquelle il était certes enfin agréé depuis le 4 mai 2011, mais pas encore assermenté.

La Cour d’Appel rejette donc en bloc l’enquête réalisée par cet agent ainsi que le prétendu indu. Elle condamne la CPAM à payer à l’infirmier une partie de ses frais d’avocat.

Cet arrêt est particulièrement remarquable par sa concision et sa précision.

Il examine dans le détail les dispositions réglementaires de deux arrêtés (30 juillet 2004 et 18 décembre 2006) qui avaient été produits intégralement et invoqués par l’infirmier, et en retire la disposition substantielle qui sert de base à la décision.

Les règles sont encore plus précises dans le nouvel arrêté du 5 mai 2014 qui désormais indique très clairement que :

L’agrément définitif peut être accordé lorsque la manière de servir du candidat, ses aptitudes et capacités professionnelles ainsi que ses garanties d’intégrité auront été jugées satisfaisantes, et ce dans le délai maximum de douze mois à compter de la date de la demande d’autorisation provisoire.

On retrouve ces principes dans tous les textes régissant les agréments d’agents en matière sociale, notamment l’arrêté du 23 avril 2017 qui fixe les conditions d’agrément des praticiens conseils qui prévoit que l’agrément définitif peut être accordé si le candidat est jugé satisfaisant « , et ce dans le délai maximum de douze mois à compter de la date de la demande d’autorisation provisoire « ;

La raison de ces textes relève du bon sens : au bout d’un an les informations données initialement et concernant l’agent, tout comme les éléments de l’enquête, donnés au directeur de la CNAM lors de la demande d’autorisation provisoire, sont périmés et ne peuvent plus servir de base à un agrément.

Un agent ne peut pas, comme c’était le cas ici, exercer avec une autorisation provisoire pendant 2 ans puis tout à coup recevoir son agrément. Car l’agrément est alors fondé sur des éléments envoyés 2 ans avant, et ceux-ci sont périmés tout comme l’enquête effectuée sur cet agent.

 

Catherine Marie KLINGLER
Avocat

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Une transaction avec la CPAM annulée par la Cour d’Appel : l’infirmière est déchargée de son indû

Un shadock devant un boulier avec la légende "C'est pas parce que Un et UN font DEUX que deux et deux ont le droit de faire QUATRE

LES CALCULS DE LA CPAM N’ONT PAS SU CONVAINCRE…

Les faits

L’affaire concerne un cas désormais classique, mais jamais encore jugé en ce sens. Une Caisse Primaire avait procédé à un sondage statistique sur la facturation des soins par une infirmière.

La Caisse en déduisait que cette infirmière avait probablement facturé « en trop » des sommes importantes. Elle lui avait alors donné un rendez-vous, au cours duquel une transaction prérédigée était immédiatement signée par l’infirmière. En signant, celle-ci reconnaissait devoir à la Caisse une somme de 44.600 EUR, au titre de soins supposément surcotés.

Cette transaction est annulée par la Cour d’Appel. L’infirmière est déchargée du supposé indû et la Caisse condamnée à lui payer 2000 EUR en participation sur ses frais de défense. La Caisse est aussi condamnée à restituer les acomptes versés par l’infirmière.

Une infirmière « hyperactive »….

Selon la CPAM, l’infirmière aurait été « hyperactive ». Non, il ne s’agit pas du syndrome TDA-H dont on parle partout. L’infirmière, qui était à la veille de sa retraite, n’était pas particulièrement agitée, mais simplement  son chiffre d’affaires annuel était « trop » important aux yeux de la Caisse. Et la CPAM contrôlait à ce moment-là tout infirmier qui dépassait un certain chiffre d’affaires annuel.

Ce mode de déclenchement des contrôles était assez sommaire puisqu’il ne tenait aucun compte du fait que certains infirmiers travaillent 150 jours par an alors que d’autres (plus nombreux qu’on ne le croit) travaillent parfois jusqu’à 330 jours sans arrêt.

L’infirmière (qui avait exercé depuis plus de 30 ans sans problème particulier) avait une importante clientèle et ne ménageait pas sa peine. Alors qu’elle se trouvait en soins pour une maladie contractée dans l’exercice de sa profession, elle recevait tout à coup une convocation de la CPAM, qui n’était accompagnée d’aucun document ni tableau de chiffres.

L’infirmière se sent « traitée comme une voleuse » et signe tout de suite une transaction.

Dans les bureaux de la CPAM, l’infirmière se trouvait en présence de plusieurs responsables de la Caisse, qui l’incitaient à « trouver un accord » et lui présentaient un document prérédigé.

Elle avoue plus tard, en pleurant, qu’elle s’est sentie « traitée comme une voleuse ».

Il est relaté, dans le jugement de première instance, que l’infirmière a signé le protocole d’accord dès son premier rendez-vous à la CPAM, comme cela est souvent le cas. Ces protocoles sont préparés d’avance et il est clair que les infirmiers ne s’accordent souvent aucun temps de réflexion.

L’infirmière n’avait, non plus, reçu aucun document avant ce rendez-vous. Dépourvue de conseils, et alors que la CPAM lui faisait entrevoir qu’elle allait engager des poursuites pour des sommes plus importantes, l’infirmière a signé le document intitulé « transaction », dans lequel elle reconnaissait devoir une somme de 44.600 EUR.

L’état de faiblesse dû à la maladie de l’infirmière lors de la signature n’entache pas le protocole de nullité 

L’infirmière avait signé la transaction alors qu’elle était dans un état de faiblesse extrême, dû à son état de santé au moment des faits.

Une fois sa santé (heureusement) retrouvée, elle regrettait d’avoir signé si vite un protocole qu’elle n’avait même pas pu emporter chez elle pour l’examiner.

Elle essayait alors de faire annuler cette transaction, en invoquant son manque de discernement au moment de la signature. Elle avait produit plusieurs certificats médicaux dépeignant un tableau très sombre de son état au moment de la transaction. Mais le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BELFORT par son Jugement du 31 août 2017 l’a  déboutée de cette demande. Selon le tribunal, il n’y avait pas altération de ses facultés mentales au sens de l’art. 414-1 du code civil.

Une photo de Musidora, l'actrice de la Belle Epoque, en costume de vampire créé pour le film "Les Vampires" (1915). Le costume est une combinaison moulante noire recouvrant tout le corps à l'exception du visage. Musidora porte aussi des chaussures noires à talons.

Photo de Jeanne Roques, dite Musidora, célèbre pour son rôle dans «Les vampires »  et « Judex » (Louis Feuillade, 1915 et 1916).

Un dessin du calcul "Shadock" : on voit un tableau de calcul avec en bas à droite un shadock professeur qui montre le calcul avec une baguette.

Le mode de calcul « statistique » utilisé par la CPAM a pleinement satisfait les premiers juges.

L’infirmière avait invoqué le manque de concessions réciproques, c’est-à-dire le fait que la CPAM réclamait trop par rapport à l’indû réel.

Mais elle n’avait pas proposé de calcul alternatif.

C’est sans doute pourquoi le tribunal a trouvé « claire » la méthode statistique suivie par la CPAM pour déterminer les sommes réclamées.

Le tribunal mentionne que le « calcul du taux d’anomalies constaté sur les factures contrôlées, calcul d’un intervalle de confiance », et   « le contrôle sur pièces de la période restreinte a permis de retrouver des cotisations (sic) de majorations de nuit dans des hypothèses non prescrites, et des surcotations. »

Or comme on ignore de quelle manière l’échantillon de 10 patients avait été choisi, cette formulation n’a que l’apparence de la rigueur.

Et surtout, ces mentions ne figuraient pas dans le protocole transactionnel. Vraisemblablement elles figuraient dans les conclusions de la CPAM, déposée au tribunal près de deux ans et demi après la signature du protocole.

De fait, il est rare qu’un tribunal critique une méthode de calcul, surtout si on ne lui en propose pas d’autre. Et curieusement, un calcul, même (et surtout !) obscur et compliqué, apparaît toujours convaincant. Il est même de bon ton d’affirmer qu’il est limpide, alors même qu’il est faux(*).

Plus gênant, le tribunal justifiait sa décision en citant une méthode de calcul qui ne figurait même pas dans la transaction, et qui était invoquée a posteriori. Le tribunal s’était référé (sans le dire explicitement) aux conclusions de la Caisse. Celle-ci justifiait son calcul, mais pas dans le protocole, et tardivement. Mais comme aucun autre mode de calcul n’étant proposé, ce calcul apparaissait très convaincant.

Ainsi l’affaire semblait « bouclée » et l’infirmière avait fait appel, mais sans grande conviction.

L’examen du dossier par la Cour d’Appel

Alertée par les nouveaux arguments de l’infirmière qui critiquait cette fois les calculs de la Caisse, la Cour d’Appel a abordé les choses sous un angle différent.  Elle s’est lancée dans un examen approfondi du contenu de la transaction, et des modes de calculs employés.

Juger ce type de transaction, et encore plus envisager son annulation, n’était pas aisé. On ne trouve à ce jour aucune décision annulant les transactions signées entre les infirmiers et les Caisses ; soit parce que les infirmiers ne les remettent pas en question, soit parce que ces transactions sont rédigées avec soin, soit encore parce qu’un tribunal hésitera toujours devant les conséquences d’une telle annulation.

On se souvient  de l’affaire de la CPAM des Côtes d’Armor. Une infirmière avait signé une transaction reconnaissant devoir 82500 EUR forfaitaires, qu’elle s’engageait à payer à raison de 4583,33 EUR mensuels (!), pour aussitôt le regretter et demander un aménagement des mensualités, trop élevées pour ses revenus. Elle avait tenté de contester la validité de son consentement, mais seulement dans le cadre d’une défense en référé, et sans jamais saisir le juge du fond. Elle a été déboutée (Cour d’Appel de Rennes 6 juin 2014).

Le plus grand nombre de décisions de Justice rendues en matière de transaction concerne des transactions entre salariés et employeurs lors d’un licenciement. Il est donc délicat de faire des comparaisons car des règles particulières s’appliquent. Cependant, il existe des règles communes à toutes les transactions et certains exemples pouvaient tout de même servir à illustrer les failles de la transaction conclue, ici, entre l’infirmière et la Caisse.

un dessin vectoriel d'un dossier sur lequel est posé une loupe

Le juge doit pouvoir, à la lecture de la transaction et seulement de la transaction, reconstituer les prétentions des parties et dire s’il existe des concessions réciproques

La transaction consiste à régler une situation dans laquelle chacun demande quelque chose à l’autre, mais finalement renonce à une partie de ses demandes afin de trouver une solution amiable. Autrement dit chacune des parties doit renoncer à une partie de ses prétentions, en échange d’un accord amiable.  Toute transaction doit contenir des « concessions réciproques », sans quoi elle est nulle.

Pour contrôler l’existence de concessions réciproques, encore faut-il savoir ce que chacun demandait au moment où la transaction a été signée, et que ces demandes soient exposées dans la transaction. A la seule lecture de la transaction, le juge doit pouvoir connaître les prétentions des parties au moment de la signature de l’acte. Il doit pouvoir reconstituer le litige, non pas pour le rejuger (ce qui lui est interdit) , mais pour savoir s’il y a eu réellement des concessions au regard des éléments du litige.

Il doit pour cela restituer aux faits énoncés leur véritable qualification juridique (Cour de Cassation, Chambre sociale, du 21 mai 1997, 95-45.038)

Et surtout le juge ne peut se fonder que sur le texte de la transaction, et pas sur des prétentions postérieures à la signature.

La transaction n’exposait pas clairement les prétentions ni les calculs, ce qui ne permettait pas d’apprécier d’éventuelles concessions

Contrairement à ce qu’avait indiqué le premier juge, les calculs n’étaient pas détaillés dans la transaction, et il était impossible de comprendre comment la CPAM était arrivée au chiffre qu’elle invoquait.

La somme de 44600 EUR avait été fixée alors qu’aucune liste de soins contestés, aucun tableau des indus n’avait été communiqué ni n’était rapporté dans la « transaction ».

La transaction était  plutôt sommaire et imprécise. Il était indiqué « des irrégularités ont été constatées » sur 10 patients. Comment cet échantillon de 10 patients avait-il été choisi ? Quelles irrégularités exactement? cela n’était pas indiqué dans la transaction. Cela ne mettait donc pas le juge en situation de pouvoir vérifier quelles étaient exactement les allégations de la CPAM concernant de prétendues irrégularités.

Un schéma des mathématiques shadock : on voit un shadock à droite d'un dessin compliqué et embrouillé avec des lignes droites et un cercle passant par des points de couleur bleue, et des lignes qui sinuent entre d'autres points de couleur rose, le tout avec les mots shadocks écrits à certains endroits du dessin : GA-MEU-BU et le ZO décliné en ZO-1 ZO-2 ZO-3.

Le premier juge avait fondé sa satisfaction relative aux calculs de la Caisse sur des éléments qui ne figuraient pas dans le texte de la transaction. Or le juge ne peut pas se fonder sur des arguments nouveaux exprimés après la signature de la transaction, ni rejuger le fond et les faits objet de la transaction (Cour de Cassation Civile, Chambre sociale, 26 janvier 2017 N° 15-29.233) : dans cette espèce, un employeur cherchait à justifier l’équilibre d’une transaction avec un salarié en invoquant, des années plus tard, le détail des mauvais résultats qui auraient justifié son licenciement, alors que cela ne figurait pas dans la transaction).

La Cour d’Appel de Besançon a appliqué rigoureusement ce principe et a écarté tout ce qui ne figurait pas dans l’objet de la transaction. Elle écarte ainsi, par exemple, de prétendus indus sur l’année 2013, parce qu’ils ne figurent pas dans l’objet de la transaction.

Un tableau vert avec des calculs mathématiques écrits à la craie blanche. Quelques figures géométriques sont déssinées pour les calculs

La transaction contenait des erreurs de méthode et même une erreur  de calcul

Dans la transaction, la CPAM déduisait de ses calculs statistiques que l’infirmière avait facturé 11.108,59 EUR de trop pendant la période du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2012 soit une durée de 4 mois.

Ce chiffre de 11.108,59 EUR concernait 10 patients (donc par hypothèse 1.180 EUR  de trop facturés par patient), alors que dans la même transaction il est indiqué que l’infirmière avait 336 patients et que le total facturé (par an) était de 171.599 EUR soit 510 EUR par patient .

La Cour considère qu’il n’est pas pertinent de dire qu’il a été facturé en moyenne 1180 EUR de trop par patient sur 10 patients sur une période de 4 mois, et de déduire une statistique à partir de cet échantillon, alors que sur l’ensemble des patients la moyenne facturée par an était de 510 EUR. Par cette critique, la Cour semble penser que l’échantillonnage retenu n’était pas pertinent pour fonder une statistique sur l’année.

Enfin, plus ennuyeux, l’infirmière faisait remarquer une erreur de calcul grossière. A partir du chiffre de 11.108,59 EUR qui représentait (selon les dires de la CPAM) 4 mois de sommes facturées en trop, la CPAM avait reconstitué l’année 2012 en multipliant 11.108,59 EUR par 4, ce qui donnait la somme de 44.600 EUR en « année pleine 2012 » .

Or si 4 mois représentaient 11.108,59 EUR selon les prétentions de la CPAM elle-même, alors une année pleine c’est-à-dire 12 mois aurait dû représenter 11.108,59 x 3 = 33.325,77 EUR et certainement pas 44.600 EUR qui font 4×4 mois = 16 mois.

L’infirmière faisait donc remarquer que la transaction avait consisté à lui faire payer plus que ce qui était réclamé. Non seulement il n’y avait aucune concession mais c’était l’inverse: l’infirmière se retrouvait à devoir payer plus que sa dette supposée.

Pour qu’une transaction existe, il aurait fallu que la transaction mette à sa charge une somme inférieure à 33.325,77 EUR.

La Cour d’Appel de Besançon (Arrêt du 31 août 2018) a donc jugé que la transaction était nulle, ce qui a annihilé le prétendu indû. La CPAM est condamnée à rembourser à l’infirmière les acomptes qu’elle a versés au titre du protocole transactionnel, et 2000 EUR en participation à ses frais d’avocat.

C’est la première fois, à notre connaissance, qu’une transaction entre une infirmière libérale et une Caisse d’assurance maladie est déclarée nulle.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat à la Cour de PARIS

*À lire, pour ceux qui ne sont pas allergiques aux maths, le passionnant ouvrage « Les maths au tribunalQuand les erreurs de calcul font les erreurs judiciaires» écrit par la mathématicienne Leila Schneps.

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La Cour d’Appel d’Aix en Provence nie toute valeur aux témoignages recueillis par les infirmiers auprès de leurs patients dépendants (AIS3)

La Cour d’Appel d’Aix en Provence érige en principe le fait que les infirmières libérales, et tous les soignants, de par leur rôle et leur présence auprès des malades âgés ou dépendants, exercent nécessairement une pression sur ces patients, qui les craignent. Il en résulte que les témoignages de patients recueillis par l’infirmière sont systématiquement rejetés par cette Cour.

Qui n’a jamais eu peur de la piqûre, des examens ou des « soins » (surtout hospitaliers !) dont on ne sait jamais à quoi il faut s’attendre ? Chez un patient âgé ou très malade, alors que la douleur se prolonge, se répète ou devient aigüe, le moindre soin qui se profile suscite la crainte de la douleur. La peur d’avoir mal, c’est déjà la douleur. Le patient fragile, âgé, surtout celui qui est hospitalisé, a le sentiment (justifié ou non) que l’infirmière mal lunée, celle du matin, ou mieux encore l’intérimaire qui débarque dans un service « lourd », risque de le faire souffrir. Ce n’est pas faux et nous, les enfants et petits-enfants de ces patients, avons encore en mémoire douloureuse tous les  « m’enfin, ne me dites pas que je vous fais mal ? » et « faut pas qu’elle se laisse aller la mamie ! ». Il ne faut cependant pas en faire une règle générale. S’il arrive qu’un soignant ne sache ou ne puisse pas s’adapter aux circonstances, il y en a mille autres qui sont de merveilleux professionnels, formés à la psychologie du patient et à la douleur. Ce sont ceux-là qui doivent paraît-il faire la toilette des patients en 6 minutes 66 (vous pouvez voir la vidéo pleine d’humour de  Sabrina Ali Benali ci-dessous ou sur Youtube).

Qu’en est-il de l’infirmier libéral, qui est souvent le seul contact humain d’un patient âgé et parfois isolé, mais qui peut aussi être « débarqué » rapidement au profit d’un autre infirmier installé à quelques kilomètres plus loin?  Est-ce comparable à la situation du patient hospitalisé, prisonnier d’une structure, qui n’est pas chez lui, et qui ne peut pas demander à changer de soignant ?  Faut-il croire à une toute-puissance de l’infirmier libéral sur le patient, à tel point que celui-ci serait capable, pour ne pas déplaire à celui qui le soigne, de dire ou écrire n’importe quoi si l’infirmier le lui demande ?

C’est ce que semble penser la Cour d’Appel d’Aix en Provence.  En ce jour du 1er avril 2018, les infirmiers libéraux trouveront sans doute à cette décision (arrêt du 28 mars 2018, paru en ligne ce jour 1er avril 2018) le goût d’un mauvais poisson (comme il s’en trouve dans certains restaurants de la ville de M… et qui intoxiquent les avocats) .

« Il sera rappelé que les patients qui ont besoin des soins cotés AIS3 (essentiellement des soins de toilette) sont dépendants, malades, souvent âgés et isolés, et que leur fragilité les retiendra (comme leurs familles) de critiquer ceux qui ont pour mission de les aider. »

Ce qu’en termes délicats la Cour affirme ici, c’est tout simplement que les infirmiers chargés des soins de toilette des personnes dépendantes font peur à leurs patients. Ceux-ci ont peur d’être maltraités si jamais ils ne disent pas ce que l’infirmier leur dit de dire.

La Cour en conclut que lorsqu’une enquête est réalisée au sujet d’un indu, il faut écarter les attestations de tels patients qui reviennent sur les déclarations qu’ils ont précédemment faites aux enquêteurs des Caisses d’assurance sociale.

Suivant quel principe légal ces attestations, établies dans les formes, seraient-elles nulles ou non valables ? Aucun. Cela ne résulte que d’un axiome que la Cour énonce et qui se suffit à lui-même comme une évidence universellement admise : les témoignages de patients dépendants, recueillis par les infirmiers, ne sont pas valables parce que le patient a peur de l’infirmier et il écrira donc, sous l’empire de cette crainte, tout ce que l’infirmier voudra. Cela compte pour du beurre.

Mais ne faut-il pas se méfier de cet archétype universel ? celui de l’infirmière nécessairement maltraitante parce que trop-facturante (oui, il fallait inventer cette expression) ou « fraudeuse » ?  Dans toutes les affaires où il est reproché à des infirmiers d’avoir facturé tel ou tel acte, les débats ne sont jamais clos sans que l’organisme social ait dit, sous-entendu ou suggéré que l’infirmier a aussi maltraité les patients : trop vite, ou pas assez, ou pas du tout, ou encore en ajoutant des soins inutiles, rien que pour les facturer….

Le personnage de l’infirmier maltraitant fait peur, et c’est là ce qui fait son succès. Il est comme la créature du professeur Frankenstein. On le croit parti ou mort,  mais il revient à chaque fois.

Il y a pourtant une autre réalité dont il faudrait peut-être tenir compte aussi, car elle existe et elle est attestée par des familles de patients. C’est celle des patients âgés ou pris au piège d’une interminable fin de vie, qui reçoivent un courrier les avertissant d’un contrôle, et qui voient arriver chez eux, dans leur intimité, un contrôleur administratif de l’assurance maladie.  Celui-ci va leur montrer une carte qui ressemble à une carte de police. Il va leur poser des questions et leur demander de se rappeler combien de temps l’infirmière X est venue chez eux le 23 janvier de l’année 20XX , à quelle heure elle est arrivée, partie, quels gestes elle a accomplis.  Parfois il répètera plusieurs fois les mêmes questions jusqu’à ce que la mémoire revienne au patient, surtout si celui-ci est atteint de troubles cognitifs. Ces interrogatoires sont parfois menés à l’aide de formulaires comportant une mention qui avertit le patient (âgé, malade dépendant) de ce qu’en cas de fausse déclaration, il risque une sanction pénale. Ils se terminent par un « procès-verbal », comme au commissariat.

Sur un fond rouge sang, une infirmière brandit comme un couteau, une énorme seringue. Elle a un sourire diabolique ....

Dans le film américain de 1987 « Death nurse », une infirmière et son frère médecin ont monté une clinique où ils tuent tous les patients indigents dont les soins sont pris en charge par l’Etat. Mais ils continuent ensuite à facturer des soins pour ces patients. Un inspecteur débusque la fraude. Le personnage a tellement de succès en 1987 qu’une version 2 sort en 2012.

Quiconque a vécu cette expérience sait que le patient a le sentiment d’être contrôlé, pris en faute par ces gens qui frappent à la porte. Le patient très malade, âgé, est souvent torturé par le sentiment d’être une charge pour sa famille, pour son entourage, pour la société. Il pense, et on lui répète à la télévision (donc c’est vrai), qu’il coûte cher à la société. Il aura donc à cœur de se faire tout petit et de dire qu’il ne reçoit que très peu de soins, et ne coûte ainsi presque rien à la « Sécurité Sociale ».

Dans une affaire jugée par le T.A.S.S des BOUCHES DU RHONE le 5 novembre 2015 (voir sur LEXIDEL « nullité de l’audition des patients dans le cadre d’une procédure d’indu »), le tribunal avait cité l’attestation d’une patiente (née non pas le 27 janvier 2013 comme l’écrit le juge, mais probablement le 27 janvier 1913) «  lors du passage de votre inspectrice en 2010, je dois reconnaître que j’ai eu tendance à minimiser le temps de passage des infirmiers car je pensais qu’il s’agissait d’un contrôle qui portait sur les malades et j’avais peur qu’on me supprime des soins s’il apparaissait que ceux-ci étaient trop longs et donc trop coûteux pour la S-Sociale », « maintenant que je sais que l’enquête ne portait pas sur moi, je tenais à revenir sur mes déclarations initiales pour vous préciser qu’en réalité ils restent entre 35 et 45 minutes selon la douche et le shampoing ».

La patiente en question avait fait l’objet d’un certificat médical de son médecin traitant qui la déclarait « impressionnable par toute forme d’autorité ». Mais qui représente l’autorité ? les Caisses d’assurance maladie, que les patients considèrent comme l’Administration, voire l’Etat, le contrôleur avec sa carte officielle tamponnée du tribunal, ou bien l’infirmier libéral qui peut être remercié à tout moment ?

La Cour d’Appel d’AIX (même chambre) avait pourtant infirmé ce jugement, en indiquant déjà à cette époque que «  La Cour observe par ailleurs que, si certains patients étaient probablement impressionnables en raison de leur âge ou de leur santé, la démarche entreprise auprès d’eux ou de leur famille par Madame X après l’enquête de la caisse primaire a pu être de nature à les perturber, par la crainte bien légitime de ne plus bénéficier du même dévouement de la part de leur infirmière ou de ses collègues du même groupe, pour la suite de leurs soins. Pour ce motif, la Cour ne tiendra pas compte des pièces ainsi versées par l’appelante, déclare infondés les arguments présentés dans ses écritures pour jeter le discrédit sur l’enquête et rejette la demande tendant à obtenir son invalidation. » CA Aix-en-Provence, 14e ch., 15 févr. 2017, n° 15/22103.

Donc si le patient témoigne pour l’infirmière, ce n’est pas parce qu’il apprécie son dévouement, mais parce qu’il a peur qu’elle ne vienne plus le soigner ou qu’elle le maltraite. Et il a raison (sa crainte est « légitime ») parce que, selon la Cour, c’est ce que l’infirmière risque de faire.

Une image d'antan où l'on voit ue infirmière au chavet d'un malade; L'infirmière, souriante, parle avec le patient qui la regarde en lui tenant les mains; Une note en bas de la photo : "Reconnaissance éternelle A celle qui fût si maternelle".

Tout le monde ne partage pas cet avis. Dans une affaire concernant un soignant qui avait été pénalisé pour avoir effectué des soins pendant une période d’interdiction disciplinaire, la CAA Bordeaux reconnait la valeur des attestations de patients qui reviennent sur les déclarations faites aux enquêteurs, mais il est vrai qu’il ne s’agissait pas de patients dépendants (Cour d’Appel administrative de Bordeaux  5e ch. 26 juin 2012, n° 11BX00179 publié sur Doctrine).

Comment, en 100 ans (1918-2018) le personnage de l’infirmière est-il passé de celle qui réconforte à celle qui peut vous faire du mal parce qu’elle vous tient en son pouvoir ?

C’est un sujet triste et philosophique qui n’a pas sa place ici mais qui mériterait une thèse.

Catherine Marie KLINGLER

AARPI LEKTOS – Avocats

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La CPAM condamnée à payer une indemnité aux infirmières qu’elle poursuivait injustement

En attente d’une cotation spécifique, la pompe à insuline doit être traitée et cotée comme une perfusion sous-cutanée…..

Dans un dessin de Tintin, le capitaine Haddock crache sur un lama qui venait de lui cracher dessus, à la surprise de Tonton et du chien Milou.

Dans un jugement du 13 février 2018, le tribunal des affaires de Sécurité Sociale du LOIRET pose le principe que la pompe à insuline doit se voir appliquer la cotation des perfusions sous-cutanées, jusqu’à ce qu’il existe un article spécial de la NGAP sur les pompes à insuline.

Et il condamne la CPAM à payer à chacune des infirmières une somme de 500 EUR pour les indemniser des frais de procédure.

La CPAM prétendait qualifier ces actes d’AMI 1. De plus, selon la CPAM, au bout de 15 jours de soins, ce n’était plus remboursable. Donc les patientes à moitié aveugles n’avaient qu’à se débrouiller seules avec cet appareil pour qu’il délivre les bonnes doses à la bonne heure.

La pompe à insuline est un dispositif électronique qui administre de façon continue de l’insuline et qui permet de programmer des ajouts d’insuline avant chaque repas ou en cas d’hyperglycémie. L’insuline est contenue dans le réservoir relié à une ligne d’infusion (tubulure), elle-même reliée à une canule qu’on place sous la peau. Cela ressemble donc à s’y méprendre à une perfusion sous-cutanée.

La programmation de la pompe se fait en utilisant des touches sur le devant de l’appareil. L’écran affiche des menus déroulants comme un téléphone portable ou un petit appareil électronique. Le changement du cathéter doit se faire tous les deux ou trois jours.  Le changement du chargeur est en fonction de la programmation voulue par le médecin.

Un patient jeune et alerte pourrait apprendre à se servir lui-même de sa pompe à insuline. Mais ici, les deux patientes étaient très âgées et malvoyantes. Seules, elles ne pouvaient ni placer la canule ni régler la pompe. Et vu leur âge et leur état, il était peu probable que cette situation changeât.

Alors, sur prescription du médecin, les infirmières se rendaient tous les 2 jours chez ces patientes. Elles retiraient le cathéter puis posaient la pompe tous les 2 jours. Elles cotaient AMI 14 la pose de cette pompe, AMI5 le retrait.

Mais la CPAM a tout à coup décidé que cette cotation n’était pas la bonne. Les infirmières furent poursuivies en remboursement et le traitement interrompu. Dans l’attente de la décision du tribunal, le médecin a dû revenir au traitement par piqûres, plusieurs fois par jour. Moins efficace, désagréable et pas tellement moins cher .

La CPAM fondait sa position sur l’art.10 du chapitre I « SOINS DE PRATIQUE COURANTE, surveillance et observation d’un patient à domicile » et plus particulièrement d’une disposition qui mentionne « surveillance et observation d’un patient lors de la mise en œuvre d’un traitement ou lors de la modification de celui-ci, sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants, avec établissement d’une fiche de surveillance, avec un maximum de quinze jours, par jour : 1AMI »

Absurde, car l’article ci-dessus ne s’applique justement pas aux patients diabétiques insulino-dépendants puisqu’il est écrit en toutes lettres :  sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants.

Et pourtant la commission de recours amiable avait confirmé cette position. A croire que le souci de rééquilibrer les comptes de l’assurance maladie affecterait parfois certaines facultés essentielles.

Une seringue prête à piquer tenue par une main droite couverte d'un gant transparent et la main gauche tenant un coton
un shadock avec un livre ouvert. On peut lire les syllabes : GA-ZO-BU-MEU

Pour ceux qui voudraient savoir pourquoi les shadocks n’ont que 4 mots de vocabulaire : « Ga, Zo, Bu, Meu », la vidéo est en bas de l’article  …

Mieux encore, la CPAM prétendait revenir sur l’avis de son propre médecin-conseil.  Car, avant de coter AMI 14, les infirmières et le médecin traitant avaient pris soin d’interroger le médecin conseil compétent et celui-ci leur avait indiqué lui-même cette cotation, qu’elles avaient appliquée. Las, un an plus tard elles recevaient une notification d’indû.

Le médecin conseil avait pourtant écrit : « après discussion avec le département des actes, celui-ci justifie désormais la cotation d’une séance de perfusion sous-cutanée lors de la préparation du dispositif, son remplissage, le réglage du débit et la pose de la perfusion sous-cutanée, soit AMI 14 ; de même lors de changements de dispositif ».    Il ajoutait : «ces cotations doivent avoir un caractère exceptionnel et transitoire » .

La CPAM se prévalait de ces mots  « exceptionnel et transitoire »  pour prétendre ne plus rembourser ces soins au-delà de 15 jours, et elle avait eu recours (en toute absurdité) à l’art.10 cité plus haut.

Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale rappelle que « transitoire » (de transit) ne signifie pas qu’un état dure 15 jours. « Transitoire » signifie que l’on est dans l’attente d’un texte nouveau qui peut-être est déjà « dans les tuyaux ». Dans l’intervalle, on applique l’ancien, c’est-à-dire ici la cotation des perfusions, car la pompe à insuline n’est autre qu’une perfusion sous-cutanée. Cette cotation est « exceptionnelle » car elle ne doit pas devenir une règle, puisqu’elle est transitoire.

Mais cette cotation est bien AMI 14. Le tribunal rappelle aussi que l’avis du médecin conseil lie la CPAM.  Le tribunal indique enfin que les demandes qui n’ont pas fait l’objet de la notification d’indû (les retraits de la pompe cotés AMI 5) sont irrecevables.

Surtout, dans cette décision,  le tribunal pose le principe général que la pompe à insuline (dans l’attente d’un article spécifique de la NGAP) est soumise à la nomenclature des perfusions sous-cutanées. Et le tribunal ajoute ceci au sujet de la position de la CPAM : « qu’enfin cela revient à priver les patients de soins adaptés à leur état, ce qui est contraire au principe constitutionnel d’égalité ».

Avec cette phrase, un grand pas est franchi. Le tribunal a compris que ce ne sont pas les soignants mais bien les deux mamies qui étaient lésées par cette notification d’indus. Car ce sont les patients, qui ont cotisé toute leur vie, et qui voient les remboursements de soins rétrécir comme la fameuse peau de chagrin*.

un dessin représentant le héros du roman "La peau de Chagrin" de Balzac, accrochant au mur la peau de chagrin, sous le regard d'un personnage équivoque qui l'éclaire avec une lampe à huile.

«Accroché sur le mur à un clou précisément au dessus du siège où il s’était assis, un morceau de chagrin, dont la dimension n’excédait pas celle d’une peau de renard, paraissait projeter des rayons lumineux…
« La peau de chagrin », Honoré de Balzac, 1831

Grands absents de ce contentieux des indus, il importe de rappeler aux juges que les patients sont le sujet principal. Il fallait évoquer ces deux ancêtres à moitié aveugles, aux doigts déformés par l’âge… les voilà qui doivent elles-mêmes trouver comment placer la fine canule sous leur peau ridée qui se dérobe. Leurs tympans roides ne vibrent plus aux signaux d’alerte de l’appareil, leurs doigts gourds tâtent fébrilement les minuscules boutons plastique, alors que la pompe délivre au hasard n’importe quelle dose, dans leur corps déjà épuisé par l’âge.

Le tribunal a compris ce qui se cachait derrière cette notification d’indû. Sa décision nous invite a revenir à l’essentiel : «  Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. » (art.L110-5 CSP).

Mais laissons les deux patientes, désormais bien équipées, déguster cette victoire avec un peu de sucre.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat du Barreau de Paris

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La qualification d’escroquerie est-elle réellement justifiée à l’égard d’une infirmière qui a facturé des soins effectués par ses remplaçantes, et qui leur a rétrocédé la totalité des honoraires ?

une infirière en blouse blanche qui montre ses mains menottées

Donc, c’est moi qui suis l’ogre et le bouc émissaire.
Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre…

(Victor Hugo, « les Contemplations »)

Dans un arrêt du 11 juillet 2017 ,  la Cour de Cassation approuve la Cour d’Appel d’Aix en Provence d’avoir condamné à une peine de 6 mois de prison avec sursis (pour escroquerie) une infirmière libérale qui a facturé des soins et des indemnités kilométriques à la place de ses remplaçantes, alors même que les soins ont été réalisés et que les sommes ont été reversées aux remplaçantes.

Madame X, infirmière libérale, avait été victime d’un accident de la circulation qui l’a immobilisée pendant une assez longue période. Elle avait fait appel, en toute légalité, à des remplaçantes, pendant le temps de son indisponibilité.

Mais elle n’avait pas respecté les règles de facturation. Les remplaçantes auraient dû facturer les soins en barrant le nom de l’infirmière sur les feuilles de soin, ou (depuis 2016) facturer avec une carte spéciale « professionnel de santé remplaçant » et télétransmettre leurs factures.

Or, Madame X avait facturé elle-même et avait reversé à ses remplaçantes les montants reçus de la Caisse primaire.

L’infirmière n’en avait évidemment tiré aucun profit. Il est dit  dans l’arrêt qu’elle voulait simplifier sa gestion. Il est probable qu’il s’agisse de sa part d’une méconnaissance des règles, assez complexes, de facturation.

L’infirmière aurait pu invoquer (s’agissant de faits qui apparemment remontent à 2010 ) la requalification de l’infraction en « fraude aux prestations sociales », passible de 5000EUR d’amende (art L114-13 ancien du code de la Sécurité Sociale)  mais il faut croire qu’elle ne voulait pas invoquer ce moyen, et qu’elle souhaitait demander sa relaxe pure et simple.

Qualifier des faits d’escroquerie alors même qu’il n’y a ni enrichissement de l’auteur ni préjudice de la victime, et ceci en dépit des termes de la loi («à son préjudice ou au préjudice d’un tiers ») est devenu banal, contre l’avis de certains éminents auteurs.  Il est plus choquant de lire que la condamnation serait justifiée par des « manœuvres frauduleuses » accomplies par cette infirmière.

On aurait pu d’emblée penser à un « abus de qualité vraie » : certains individus peuvent se voir qualifier d’escrocs dès lors que, pour tromper leurs victimes, ils abusent de leur appartenance à une  profession qui « inspire confiance » (« abus d’une qualité vraie »).

Aux yeux de la Justice, ces professions sont en général : notaire, huissier, médecin ou dentiste, banquier, maire, receveur général des impôts…. Mais ici cet argument n’a pas été retenu et il faut croire que les tribunaux considèrent que la profession d’infirmier n’inspire pas suffisamment confiance pour permettre d’abuser de malheureuses victimes.

S’il n’y a pas usage d’un faux nom, d’une fausse qualité, ou abus d’une qualité vraie, alors le « simple mensonge »  ne suffit pas à caractériser l’escroquerie. Il faut des « manœuvres frauduleuses », c’est-à-dire des éléments autres que le mensonge, comme par exemple une mise en scène quelconque,  une attestation d’un tiers, ou tout autre élément extérieur au mensonge.

Et donc, pour retenir la qualification d’escroquerie, la Cour considère ici qu’il existe des manœuvres frauduleuses en dehors du mensonge. Lesquelles ?

Le  «mensonge » consiste à avoir indiqué que des soins étaient accomplis par Madame X … alors qu’ils l’étaient par des remplaçantes. Ce « mensonge » avait été véhiculé par la télétransmission, depuis le terminal informatique de Madame X, portant son numéro d’identification (numéro ADELI).

La  Cour retient que le mensonge était « corroboré par un élément extérieur lui donnant force et crédit, en l’espèce la télétransmission des feuilles de soins établies à son nom attestant des kilomètres fictifs parcourus ».

La télétransmission est-elle « un élément extérieur » ?  Elle n’est qu’un vecteur qui remplace l’écriture, pour porter le « mensonge » jusqu’à son destinataire (il y a quelques années ce « mensonge » aurait été simplement écrit, transmis par la Poste).

un homme assis à un bureau devant un ordinateur. Son visage est à peine visible sous la capuche d'une veste de couleur gris foncé, et il est dans la pénombre. La photo est grise et sombre.

Or pour qu’il y ait escroquerie au moyen d’un écrit mensonger, « l‘écrit doit être une pièce distincte de celle exprimant le mensonge lui-même. (Jurisclasseur pénal art 313-1 à 313-3 fasc 20 N°72 par Michèle Laure RASSAT, professeur émérite des facultés de Droit).

Ces principes étaient encore appliqués tout récemment et les tribunaux ont considéré comme de « simples mensonges » ne constituant pas des escroqueries :

Y aurait-il, de la part des juges, une mauvaise compréhension de la réalité du quotidien des soignants ?  

« La question, très fréquente, en pratique, des surfacturations médicales pose des problèmes complexes pas toujours bien identifiés par la jurisprudence » (Jurisclasseur pénal art.313-1 à 313-3 Fascicule 20 par Madame RASSAT).

Les choses ont considérablement évolué ces vingt dernières années.

Le principe que le simple mensonge ne suffit pas pour qualifier une escroquerie a été longtemps appliqué systématiquement aux membres des professions de santé y compris quand ils surfacturaient leurs actes aux organismes de protection sociale (Cass. crim., 25 sept. 1997 : Bull. crim. 1997, n° 313 ,  Cass. crim., 24 sept. 1998   Cass. crim., 7 févr. 2001 , jurisdata 2001-009113  et bien d’autres). On considérait qu’il n’y avait escroquerie que si une action supplémentaire s’ajoutait, par exemple le fait de raturer ou surcharger les documents  (Cass. crim., 7 févr. 2001, n° 99-87.992 , Cass. crim., 13 janv. 2010, n° 09-82.071).

Progressivement on a vu apparaître des décisions qui punissaient d’escroquerie de simples surfacturations où aucun élément ne venait s’ajouter au mensonge ( Cass. crim., 8 juin 1999, n° 97-11.927, Cass. crim., 17 déc. 2014, deux arrêts, n° 13-88.520 et d’autres encore). Ces décisions punissent clairement le simple mensonge, au lieu de rechercher (conformément à la loi) les autres éléments nécessaires à la qualification d’escroquerie.

« Il est permis de penser que les choses deviennent de plus en plus floues avec le temps et  que le droit positif actuel, en la matière, est très incertain »  même source, Jurisclasseur pénal art.313-1 à 313-3 Fascicule 20 par Madame RASSAT).

Mais cette évolution ne concerne pas que les soignants. Elle s’attache en réalité non pas à un type de personnes, mais à certains types de documents qui sont désormais pour ainsi dire sanctifiés, et qui ne peuvent être utilisés pour « mentir », à peine de quoi le simple menteur se transforme tout à coup en dangereux escroc….

L’idée des juges est que certains documents doivent inspirer confiance plus que d’autres. La souillure d’un simple mensonge sur leur surface constitue alors une escroquerie.  Ce fut le cas d’abord pour des documents publics, puis pour les cartes grises, et récemment l’épidémie s’étend aux bilans et aux déclarations de TVA.

Cette évolution a pu surprendre car si le code pénal punit les « escrocs » qui utilisent une profession honorable pour inspirer confiance, il n’est, par contre, pas prévu par la loi de réprimer plus gravement un mensonge à cause du support sur lequel il est écrit.

Il faut bien trouver une explication et on en conclut finalement que certains documents, par leur nature, sont plus que des documents. Choisir de les utiliser pour mentir serait en soi une manœuvre distincte du mensonge lui-même.

« Décider que la simple production d’un faux bilan constitue une manoeuvre  frauduleuse, c’est reconnaître que cette sorte d’écrit porte en lui-même l’élément extérieur détachable du mensonge qu’il contient et de nature à lui donner force et crédit », Professeur Y. Mayaud dans « le mensonge en Droit pénal », thèse Lyon 1976 p.372.

Le  nombre de documents ainsi sanctifiés augmente constamment, signalé par les auteurs dans les revues juridiques. Y figurent par exemple désormais les bilans comptables, et les déclarations de TVA. Les mentions erronées effectuées sur ces supports, lorsqu’elles sont répétées, sont systématiquement qualifiés d’escroquerie (Cassation Criminelle 12.09.2006 , N°05 87.609).

Les documents ainsi « protégés » sont souvent ceux adressés à des administrations ou des personnes morales chargées d’un service public. Ainsi les professions de foi des futurs candidats à de futures élections ne devraient pas être atteintes par cette pandémie…. On voit poindre le souci de réprimer plus durement les atteintes à ce qu’on considère comme les biens matériels publics.

Il reste que le cas de l’infirmière X… est marginal puisqu’elle n’a facturé que des actes réellement effectués, sans surfacturation aucune. Le seul « mensonge » consiste à les avoir envoyés depuis son propre terminal. Les règles de la profession d’infirmière et en particulier celles relatives aux différents statuts (remplaçant, collaborateur), et à  la facturation sont non seulement complexes mais mal connues. L’ erreur commise par madame X…. est relativement répandue encore à l’heure actuelle et cette décision fait donc frémir.

Catherine Marie Klingler
Avocat au Barreau de Paris

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Nullité de l’audition des patients dans le cadre d’une procédure d’indu (IDEL)

En titre "Les devises Shadok". Un shadok habillé en rouge avec des électrodes sur sa tête dit : "Excusez-moi ! J'ai oublié que j'étais amnésique."

Nous signalons ici une décision du T.A.S.S. de BREST du 28 juin 2017 qui soulève, sans en avoir l’air, un point intéressant :  celui des conditions de Droit dans lesquelles l’assurance maladie interroge des patients, lors d’une enquête sur l’activité d’un infirmier.

A en croire cette décision, rédigée en termes assez vifs, le tribunal a semble-t-il été indisposé par les conditions dans lesquelles s’était déroulée l’enquête préalable.

Le tribunal a d’abord clairement considéré que la procédure à suivre aurait dû être celle du contrôle médical, et non celle de la procédure administrative d’indu. Ce point est toutefois abordé de manière trop elliptique pour que l’on puisse en tirer des conclusions.

Mais surtout le tribunal adopte une position originale concernant l’audition des patients.

Comme elle n’arrivait pas à se faire communiquer les PV d’audition (la Caisse ne produisait qu’une synthèse), en désespoir de cause, l’infirmière avait fait soulever une Question Prioritaire de Constitutionnalité.

Elle invoquait le fait que des enquêteurs s’étaient introduits au domicile des patients sans que ceux-ci eussent disposé du moindre recours contre une telle intrusion.

Les PV avaient alors enfin été communiqués, afin de prouver que les patients avaient accepté librement ces visites domiciliaires.

Or une autre difficulté est alors apparue. Ces PV d’enquête commencent par l’avertissement, donné au patient, de ce qu’il encourt des sanctions pénales ; et de lui rappeler les textes en cas de fraude (au visa de l’ancien art .L 114-13 C.S.S.) ou de fausse déclaration (art.L447-1 du code pénal).

Ainsi les patients sont menacés de sanctions pénales au moment où il leur est demandé quels soins l’infirmier leur a prodigués.

Cela signifierait-il que les patients sont eux aussi contrôlés, afin de vérifier s’ils n’auraient pas bénéficié de soins que l’assurance maladie ne prend pas en charge (car sinon, pourquoi seraient-ils mis en garde contre une possibilité de fraude aux organismes sociaux) ? Si c’est le cas, c’est donc sous cette menace d’être considérés comme des fraudeurs aux soins qu’ils devraient alors décrire à l’enquêteur les soins, leur nature, leur durée. Leurs témoignages sont-ils alors vraiment libres et objectifs ?

Il est probable que le Tribunal ait été impressionné par les signatures tremblotantes de certains patients, âgés et fragiles. On sait déjà que certains patients sont parfois interrogés sur des notions de temps et de lieu, alors qu’ils ne bénéficient pas de toutes leurs facultés cognitives (voir en ce sens TASS DES BOUCHES DU RHÔNE du 5 novembre 2015 Recours 21202282 R./. CPAM des Bouches du Rhône, qui annule une procédure d’indu pour ce motif).

Dans cette ancienne affaire, une patiente avait attesté : «  lors du passage de votre inspectrice en 2010, je dois reconnaître que j’ai eu tendance à minimiser le temps de passage des infirmiers car je pensais qu’il s’agissait d’un contrôle qui portait sur les malades et j’avais peur qu’on me supprime des soins s’il apparaissait que ceux-ci étaient trop longs et donc trop coûteux pour la Sécurité Sociale ».

Dans l’affaire jugée par le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale de Brest, celui-ci a estimé que les patients étaient traités comme des suspects.

Il conclut alors que leur audition est nulle faute d’avoir attiré leur attention sur le caractère libre de leur audition.

Audition libre ? cette terminologie est du domaine de la procédure pénale. Certes l’audition par un contrôleur de la CPAM n’est pas une procédure pénale qui se verrait appliquer les dispositions relatives aux interrogatoires de police. Peut-être le juge a-t-il voulu faire une application directe de la directive 2012/13/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 22 mai 2012 :

« Les suspects ou les personnes poursuivies devraient recevoir rapidement des informations sur l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis, et au plus tard avant leur premier interrogatoire officiel par la police ou une autre autorité compétente….. »

La CJUE estime dans sa jurisprudence qu’une directive a un effet direct si elle est claire, précise, inconditionnelle et si le pays de l’UE n’a pas transposé la directive dans les délais (arrêt du 4 décembre 1974, Van Duyn) . On peut soutenir que la directive précitée n’a, à ce jour, été transposée dans le Droit français que de manière incomplète, puisque (entre autres lacunes signalées par le Syndicat de la Magistrature dans ses communiqués) elle ne vise que les poursuites pénales et les enquêtes exercées par la police, et non les enquêtes réalisées par une « autorité compétente » comme un contrôleur.

Est-il possible que des patients, malades et fragiles, interrogés par un contrôleur de l’assurance maladie,  bénéficient de moins de droits que des suspects interrogés par la police ? Ce jugement, venu du bout de la Terre (le Finistère) se refuse à l’admettre.

Peut-être cela doit-il nous faire réfléchir à ce que subissent les patients, âgés et malades, lors d’un tel contrôle.

À noter que cet Arrêt a été confirmé par la Cour d’Appel de Rennes, mais pour d’autres motifs. La Cour a considéré que l’infirmière avait été privée d’un stade de discussion car elle n’avait pas reçu de mise en demeure de payer. Argument classique, mais qui n’est pas admis devant la Cour de Cassation, de sorte que l’Arrêt de la Cour d’Appel de Rennes a été cassée……

À suivre …..

Catherine Marie KLINGLER
Avocat – Barreau de Paris

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