le naufrage du Titanic au moment où la coque du navire se coupe en deux, et qu'une partie est déjà englouti . Il fait nuit et le ciel est étoilé, aucun autre navire à l'horizon.

«Je m’étais couché depuis dix minutes; lorsque vers 10 h15, je sentis un petit choc, puis un second pas assez sérieux pour inquiéter personne. Cependant les machines s’arrêtèrent.

J’allai sur le pont et j’y trouvai quelques autres passagers venus comme moi savoir pourquoi le vapeur s’était arrêté. Mais personne ne semblait inquiet. ……. »

Récit de Monsieur Lawrence Beesley, passager du canot n°13 du Titanic

Par un arrêt du 28 juin 2017 (chambre sociale 14, 2017/1021), la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE vient encore d’enfoncer un clou supplémentaire dans l’esquif des infirmières libérales.

Alors que le 7 mars 2017, comme nous l’avons rappelé dans l’article « Durée  des AIS 3 : le temps suspend son vol »,  la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation (lire l’Arrêt entier sur LegiFrance) approuvait la Cour d’appel de Pau d’avoir rappelé que 2AIS3 (rebaptisés AIS6 pour l’occasion) correspondent à une durée comprise entre 30 minutes et une heure (et non pas nécessairement à une heure entière), 

« Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable, l’arrêt énonce par motifs propres et adoptés, …, que Mme X… surcotait en AIS 6 les actes de ses collaboratrices, non déclarées comme telles, cotés par elles en AIS 3, que les trois actes pratiqués auprès d’une patiente, cotés AIS 6 duraient, selon cette dernière, cinq minutes, et qu’elle n’avait en aucun cas été douchée par Mme X…, alors que la cotation AIS 6 imposait des soins d’une durée de 30 minutes à une heure ; que coter des soins qui duraient vingt minutes, selon Mme X…, au lieu de 30 à 60 minutes, établit l’intention frauduleuse pour ces soins infirmiers « 

La Cour d’Appel d’AIX en PROVENCE continue d’égrener le credo suivant lequel 2AIS3 = 1H entière, c’est-à-dire 60 minutes et non pas « 30 à 60 minutes ». C’est même assez étonnant car, dans nombre de cas, les Caisses elles-mêmes soutiennent, semble-t-il, elles-mêmes que la cotation 2 AIS3 représente une durée de 30 à 60 minutes, ainsi qu’on en a la preuve dans de nombreux dossiers.

Ici, l’infirmière qui a eu l’imprudence de dire qu’elle travaillait 14 H par jour se voit mécaniquement accorder non pas 34 mais 28 AIS3 par jour :

« Concernant l’amplitude horaire quotidienne, Madame L. ne peut se prévaloir d’un total de 34 AIS3 par jour puisque, se basant sur ses propres déclarations, la caisse a calculé le total des AIS3 sur la base de 14 heures de travail par jour, aboutissant à 28 AIS3 (de 30 minutes chacune, selon la NGAP). »

Ce que l’infirmière a probablement voulu dire, c’est qu’elle agit directement sur le corps du patient 14H00 par jour.  Mais elle a fait abstraction du temps de préparation de son planning, des coups de téléphone constants, de ses temps de trajet, de la réflexion qu’elle fait sur le traitement du patient  (elle y pense probablement encore, pendant des temps que l’on croit être des « repos »).  Le temps « de  travail » de l’infirmier est un concept actuellement compris de manière erronée car tout est traité comme si  l’infirmier était un simple exécutant dont l’activité n’est que manuelle, et qui ne « travaille » que lorsque l’aiguille est dans la veine du patient…..Il y a donc toute une éducation à refaire de ce côté-là. Peut-être vaudrait-il mieux parler « d’activité » que de travail , afin d’éviter la confusion entre le travail d’un soignant et celui effectué sur une machine qui nécessite la présence sur une chaîne de production. C’est là un sujet presque philosophique (lire, lire et encore relire : « la condition ouvrière », Simone Weil : « la première difficulté à vaincre est l’ignorance« ).

L’arrêt est tellement elliptique sur le rappel des moyens des parties qu’on se demande si un pourvoi en Cassation aurait des chances d’aboutir. D’autant que (comme signalé dans un précédent article) la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation approuve, sans même un commentaire, les CPAM d’avoir « décidé » (en vertu de quel texte ?) que le nombre d’AIS3 devait être limité « afin de garantir aux patients une certaine qualité de soins ». Cette pratique de la CPAM est simplement rapportée comme un fait non contestable et qui n’est pas discuté : « l’arrêt retient que la caisse a décidé de limiter le nombre des AI3S quotidiens pour garantir la qualité des soins dispensés à des patients particulièrement dépendants ». (arrêt Cour de Cassation, Chambre Civile, 9 mars 2017 ).

On sait que les infirmiers sont actifs samedi et dimanche, jour et/ou nuit, car la maladie de leurs patients dépendants (ceux qui sont bénéficiaires des AIS3) ne connaît pas de congés ni de trêve. C’est pourquoi ils sont obligés de se relayer à plusieurs pour maintenir ces patients-là (ceux qui sont dans un état souvent proche du naufrage) à domicile. Mais rêvons un instant d’un infirmier qui serait salarié et qui travaillerait 35H par semaine avec les mêmes congés payés (oui payés) qu’un salarié ou un fonctionnaire, et qui ne ferait que des AIS3.

Etant donné le tarif d’un AIS3 (3x 2,65 = 7,95EUR), si l’on prétend qu’un infirmier doit passer 1H00 pour 2AIS3, cela donne un tarif pour 1H00 de 2 x 7,95 = 15,90euros/H brut. Or l’infirmier libéral supporte au moins 40% de charges  puisqu’il paie une partie de ses propres charges sociales (une autre partie étant à charge de la CPAM) mais doit aussi financer son local, son véhicule, le carburant, l’assurance, les parcmètres (beaucoup plus chers que le prix d’une piqûre !), le lavage de ses blouses, le paiement d’une association de gestion agréée, d’un expert comptable, ses repas pris à l’extérieur, la contribution foncière des entreprises,  le téléphone et la consommation téléphonique, son matériel bureautique et de télétransmission , le contrat d’évacuation des déchets de soins (déchets dangereux), ses frais de formation professionnelle, son assurance RC, les commissions que lui prend sa banque pour abriter son compte professionnel, les intérêts sur les emprunts d’acquisition d’un cabinet…..  Il lui restera donc en net 60% de cette somme soit 6,36 EUROS/H.

Un infirmier qui travaillerait 35H /semaine étalées sur 5 jours ouvrables, et qui n’accomplirait que des AIS3  gagnerait donc 6,36 X 35/5 par jour ouvrable soit 44,52 EUROS nets par jour ouvrable. Dans chaque semaine il y aurait 5 jours ouvrables. Il y aurait 5 semaines par an pendant lesquelles par hypothèse (et toujours pour comparer avec un salarié) l’infirmier libéral ne travaillerait pas et ne facturerait pas. Donc il ne resterait que 52-5 = 47 semaines où l’infirmier pourrait facturer et gagner 44,52 EUR par jour.

Donc l’infirmier gagnerait en réalité, par mois, 44, 52EUR x 5 x 47 semaines = 10.462,20EUR soit (divisé par 12 mois ) 871,85EUROS nets par mois. Le SMIC net est à ce jour de 1149,07EUR.

Ce calcul est encore faux car selon certaines associations de gestion agréée, les frais des infirmiers libéraux seraient de 45% et non 40% de leur chiffre d’affaires.

Il faut donc en finir avec la légende des AIS 3 qui constitueraient « l’un des actes les plus rentables » (entendu de la bouche d’une représentante de CPAM devant une Cour d’Appel). Mais ce qui est plus grave, c’est que les patients dépendants (ceux très malades ou en fin de vie) maintenus pour l’instant à domicile, pourraient bientôt se retrouver abandonnés, ou hospitalisés, par le jeu arithmétique d’une diminution du nombre de séances de soins x le nombre d’infirmiers admis à exercer dans une « zone », ou encore par une désertion des infirmiers qui ne pourraient, raisonnablement, survivre, si la progression de ce raisonnement jurisprudentiel se poursuivait.

Catherine Marie KLINGLER – avocat au Barreau de Paris

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