La Cour d’Appel d’Aix en Provence nie toute valeur aux témoignages recueillis par les infirmiers auprès de leurs patients dépendants (AIS3)
La Cour d’Appel d’Aix en Provence érige en principe le fait que les infirmières libérales, et tous les soignants, de par leur rôle et leur présence auprès des malades âgés ou dépendants, exercent nécessairement une pression sur ces patients, qui les craignent. Il en résulte que les témoignages de patients recueillis par l’infirmière sont systématiquement rejetés par cette Cour.
Qui n’a jamais eu peur de la piqûre, des examens ou des « soins » (surtout hospitaliers !) dont on ne sait jamais à quoi il faut s’attendre ? Chez un patient âgé ou très malade, alors que la douleur se prolonge, se répète ou devient aigüe, le moindre soin qui se profile suscite la crainte de la douleur. La peur d’avoir mal, c’est déjà la douleur. Le patient fragile, âgé, surtout celui qui est hospitalisé, a le sentiment (justifié ou non) que l’infirmière mal lunée, celle du matin, ou mieux encore l’intérimaire qui débarque dans un service « lourd », risque de le faire souffrir. Ce n’est pas faux et nous, les enfants et petits-enfants de ces patients, avons encore en mémoire douloureuse tous les « m’enfin, ne me dites pas que je vous fais mal ? » et « faut pas qu’elle se laisse aller la mamie ! ». Il ne faut cependant pas en faire une règle générale. S’il arrive qu’un soignant ne sache ou ne puisse pas s’adapter aux circonstances, il y en a mille autres qui sont de merveilleux professionnels, formés à la psychologie du patient et à la douleur. Ce sont ceux-là qui doivent paraît-il faire la toilette des patients en 6 minutes 66 (vous pouvez voir la vidéo pleine d’humour de Sabrina Ali Benali ci-dessous ou sur Youtube).
Qu’en est-il de l’infirmier libéral, qui est souvent le seul contact humain d’un patient âgé et parfois isolé, mais qui peut aussi être « débarqué » rapidement au profit d’un autre infirmier installé à quelques kilomètres plus loin? Est-ce comparable à la situation du patient hospitalisé, prisonnier d’une structure, qui n’est pas chez lui, et qui ne peut pas demander à changer de soignant ? Faut-il croire à une toute-puissance de l’infirmier libéral sur le patient, à tel point que celui-ci serait capable, pour ne pas déplaire à celui qui le soigne, de dire ou écrire n’importe quoi si l’infirmier le lui demande ?
C’est ce que semble penser la Cour d’Appel d’Aix en Provence. En ce jour du 1er avril 2018, les infirmiers libéraux trouveront sans doute à cette décision (arrêt du 28 mars 2018, paru en ligne ce jour 1er avril 2018) le goût d’un mauvais poisson (comme il s’en trouve dans certains restaurants de la ville de M… et qui intoxiquent les avocats) .
« Il sera rappelé que les patients qui ont besoin des soins cotés AIS3 (essentiellement des soins de toilette) sont dépendants, malades, souvent âgés et isolés, et que leur fragilité les retiendra (comme leurs familles) de critiquer ceux qui ont pour mission de les aider. »
Ce qu’en termes délicats la Cour affirme ici, c’est tout simplement que les infirmiers chargés des soins de toilette des personnes dépendantes font peur à leurs patients. Ceux-ci ont peur d’être maltraités si jamais ils ne disent pas ce que l’infirmier leur dit de dire.
La Cour en conclut que lorsqu’une enquête est réalisée au sujet d’un indu, il faut écarter les attestations de tels patients qui reviennent sur les déclarations qu’ils ont précédemment faites aux enquêteurs des Caisses d’assurance sociale.
Suivant quel principe légal ces attestations, établies dans les formes, seraient-elles nulles ou non valables ? Aucun. Cela ne résulte que d’un axiome que la Cour énonce et qui se suffit à lui-même comme une évidence universellement admise : les témoignages de patients dépendants, recueillis par les infirmiers, ne sont pas valables parce que le patient a peur de l’infirmier et il écrira donc, sous l’empire de cette crainte, tout ce que l’infirmier voudra. Cela compte pour du beurre.
Mais ne faut-il pas se méfier de cet archétype universel ? celui de l’infirmière nécessairement maltraitante parce que trop-facturante (oui, il fallait inventer cette expression) ou « fraudeuse » ? Dans toutes les affaires où il est reproché à des infirmiers d’avoir facturé tel ou tel acte, les débats ne sont jamais clos sans que l’organisme social ait dit, sous-entendu ou suggéré que l’infirmier a aussi maltraité les patients : trop vite, ou pas assez, ou pas du tout, ou encore en ajoutant des soins inutiles, rien que pour les facturer….
Le personnage de l’infirmier maltraitant fait peur, et c’est là ce qui fait son succès. Il est comme la créature du professeur Frankenstein. On le croit parti ou mort, mais il revient à chaque fois.
Il y a pourtant une autre réalité dont il faudrait peut-être tenir compte aussi, car elle existe et elle est attestée par des familles de patients. C’est celle des patients âgés ou pris au piège d’une interminable fin de vie, qui reçoivent un courrier les avertissant d’un contrôle, et qui voient arriver chez eux, dans leur intimité, un contrôleur administratif de l’assurance maladie. Celui-ci va leur montrer une carte qui ressemble à une carte de police. Il va leur poser des questions et leur demander de se rappeler combien de temps l’infirmière X est venue chez eux le 23 janvier de l’année 20XX , à quelle heure elle est arrivée, partie, quels gestes elle a accomplis. Parfois il répètera plusieurs fois les mêmes questions jusqu’à ce que la mémoire revienne au patient, surtout si celui-ci est atteint de troubles cognitifs. Ces interrogatoires sont parfois menés à l’aide de formulaires comportant une mention qui avertit le patient (âgé, malade dépendant) de ce qu’en cas de fausse déclaration, il risque une sanction pénale. Ils se terminent par un « procès-verbal », comme au commissariat.
Dans le film américain de 1987 « Death nurse », une infirmière et son frère médecin ont monté une clinique où ils tuent tous les patients indigents dont les soins sont pris en charge par l’Etat. Mais ils continuent ensuite à facturer des soins pour ces patients. Un inspecteur débusque la fraude. Le personnage a tellement de succès en 1987 qu’une version 2 sort en 2012.
Quiconque a vécu cette expérience sait que le patient a le sentiment d’être contrôlé, pris en faute par ces gens qui frappent à la porte. Le patient très malade, âgé, est souvent torturé par le sentiment d’être une charge pour sa famille, pour son entourage, pour la société. Il pense, et on lui répète à la télévision (donc c’est vrai), qu’il coûte cher à la société. Il aura donc à cœur de se faire tout petit et de dire qu’il ne reçoit que très peu de soins, et ne coûte ainsi presque rien à la « Sécurité Sociale ».
Dans une affaire jugée par le T.A.S.S des BOUCHES DU RHONE le 5 novembre 2015 (voir sur LEXIDEL « nullité de l’audition des patients dans le cadre d’une procédure d’indu »), le tribunal avait cité l’attestation d’une patiente (née non pas le 27 janvier 2013 comme l’écrit le juge, mais probablement le 27 janvier 1913) « lors du passage de votre inspectrice en 2010, je dois reconnaître que j’ai eu tendance à minimiser le temps de passage des infirmiers car je pensais qu’il s’agissait d’un contrôle qui portait sur les malades et j’avais peur qu’on me supprime des soins s’il apparaissait que ceux-ci étaient trop longs et donc trop coûteux pour la S-Sociale », « maintenant que je sais que l’enquête ne portait pas sur moi, je tenais à revenir sur mes déclarations initiales pour vous préciser qu’en réalité ils restent entre 35 et 45 minutes selon la douche et le shampoing ».
La patiente en question avait fait l’objet d’un certificat médical de son médecin traitant qui la déclarait « impressionnable par toute forme d’autorité ». Mais qui représente l’autorité ? les Caisses d’assurance maladie, que les patients considèrent comme l’Administration, voire l’Etat, le contrôleur avec sa carte officielle tamponnée du tribunal, ou bien l’infirmier libéral qui peut être remercié à tout moment ?
La Cour d’Appel d’AIX (même chambre) avait pourtant infirmé ce jugement, en indiquant déjà à cette époque que « La Cour observe par ailleurs que, si certains patients étaient probablement impressionnables en raison de leur âge ou de leur santé, la démarche entreprise auprès d’eux ou de leur famille par Madame X après l’enquête de la caisse primaire a pu être de nature à les perturber, par la crainte bien légitime de ne plus bénéficier du même dévouement de la part de leur infirmière ou de ses collègues du même groupe, pour la suite de leurs soins. Pour ce motif, la Cour ne tiendra pas compte des pièces ainsi versées par l’appelante, déclare infondés les arguments présentés dans ses écritures pour jeter le discrédit sur l’enquête et rejette la demande tendant à obtenir son invalidation. » CA Aix-en-Provence, 14e ch., 15 févr. 2017, n° 15/22103.
Donc si le patient témoigne pour l’infirmière, ce n’est pas parce qu’il apprécie son dévouement, mais parce qu’il a peur qu’elle ne vienne plus le soigner ou qu’elle le maltraite. Et il a raison (sa crainte est « légitime ») parce que, selon la Cour, c’est ce que l’infirmière risque de faire.
Tout le monde ne partage pas cet avis. Dans une affaire concernant un soignant qui avait été pénalisé pour avoir effectué des soins pendant une période d’interdiction disciplinaire, la CAA Bordeaux reconnait la valeur des attestations de patients qui reviennent sur les déclarations faites aux enquêteurs, mais il est vrai qu’il ne s’agissait pas de patients dépendants (Cour d’Appel administrative de Bordeaux 5e ch. 26 juin 2012, n° 11BX00179 publié sur Doctrine).
Comment, en 100 ans (1918-2018) le personnage de l’infirmière est-il passé de celle qui réconforte à celle qui peut vous faire du mal parce qu’elle vous tient en son pouvoir ?
C’est un sujet triste et philosophique qui n’a pas sa place ici mais qui mériterait une thèse.
Catherine Marie KLINGLER
AARPI LEKTOS – Avocats
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