« SOS infirmières » lance un appel de détresse à l’Autorité de la Concurrence

« SOS infirmières » lance un appel de détresse à l’Autorité de la Concurrence

Le fameux tableau de Géricault intitulé "le radeau de la Méduse" où on voit des personnes désespérées sur un radeau qui vogue sur une mer déchainée.

« Ceux que la mort avait épargnés […] se précipitèrent sur les cadavres dont le radeau était couvert, les coupèrent par tranches et quelques-uns les dévorèrent à l’instant ».
(récit de J.-B.Savigny, médecin, survivant du radeau de la Méduse »)

Après les tribulations de « SOS Médecins », c’est « SOS Infirmières » dont l’activité est, semble-t-il, entravée par les acteurs économiques que cette organisation dérange.

On se rappelle que SOS Médecins (et les médecins qui étaient affiliés à cette organisation) avaient fait l’objet d’innombrables décisions de Justice : recours de l’Ordre des Médecins contre les médecins qu’elle accusait d’avoir plusieurs domiciles professionnels, démêlés relatifs à la marque SOS Médecins et à des dérivés de cette appellation, etc). SOS Médecins existe depuis 15 ans est a pris la forme d’une société civile de moyens ayant son siège à Paris.

Dans le même esprit mais sous une forme différente, SOS Infirmières, Infirmières Secours Orléans,  Infirmières Secours Montreuil, Infirmières Secours Cergy-Pontoise, Auxilib, Idel Zen et Libertidel, sont des sociétés de prestations de services qui proposent à des infirmiers libéraux des moyens matériels pour exercer leur profession.

Sous la dénomination très répandue « SOS Infirmières», à laquelle s’ajoute parfois un numéro de département, on retrouve des structures variées comme une SAS, une Société civile de moyens.

Mais il est ici question de la SARL (SIRET  48783990400025) ayant son siège à PARIS 13. Les autres sociétés citées dans le recours sont toutes, elles aussi, des sociétés de prestations de services qui tendent à faciliter l’exercice libéral des infirmiers en leur fournissant des moyens matériels d’exercer.

Les infirmiers qui ont recours aux services de ces sociétés se plaignent d’être discriminés par l’Ordre National des Infirmiers.

Ils seraient, selon leurs dires, écartés de l’Ordre. Certaines infirmières se seraient même vu refuser leur inscription à l’Ordre (ce qui les place en situation d’exercice illégal) parce qu’elles faisaient appel aux services de ces sociétés.

A tel point que ces sociétés de service ont saisi l’Autorité de la Concurrence en invoquant un dérèglement du marché et des faits de dénigrement.

L’autorité de la Concurrence, dans une décision du 18 janvier 2018, a considéré qu’elle n’était pas compétente et qu’il y avait lieu, pour les infirmiers qui seraient victimes de ces agissements, de présenter des recours administratifs contre les décisions de l’Ordre National des Infirmiers. L’Ordre National des Infirmiers est investi de prérogatives de puissance publique, et ses décisions peuvent donc être attaquées devant le tribunal administratif.

Les sociétés SOS Infirmières et autres se plaignaient aussi de pratiques de dénigrement consistant dans des propos tenus notamment dans la presse. Elles invoquent la parution d’articles qui dénigrent ouvertement leur système de prestations de services, et dont le Conseil de l’Ordre serait l’auteur.

Mais il s’avère que les propos dénigrants, s’ils ont bien été tenus par un responsable de l’Ordre, l’ont été en sa qualité de représentant d’un important syndicat, et non de représentant de l’Ordre.

En conclusion, le dossier n’a pas paru suffisamment étayé par des pièces, et l’Autorité de la Concurrence ne peut pas le déclarer recevable ni examiner ces prétendus faits de dénigrement.

Affaire à suivre…..

SOS INFIRMIERES, INFIRMIERES SECOURS, IDELZEN et LIBERTIDEL ont fait appel de la décision  de l’autorité de la concurrence, devant la Cour d’Appel de Paris.  Ces sociétés soutenaient que l’ordre des infirmiers pratiquait, à l’égard des infirmiers qui recouraient à leurs services (domiciliation,  secrétariat, mise à disposition de matériel et de consommables) un véritable boycott qui avait pour finalité de les éliminer du « marché » des soins de ville, et ceci par des actes de dénigrement.

Une partie de leurs demandes a été rejetée parce que la Cour a estimé que cela relevait de la compétence des tribunaux administratifs; il s’agissait de critiquer les agissements de l’Ordre dans le cadre de sa  mission de service public (par exemple son refus d’inscrire certaines infirmières …..). Il en aurait été autrement, si un membre de l’Ordre avait commis une faute « détachable » de ses fonctions, condition que la Cour estime non remplie… et voilà une question évacuée sans avoir eu besoin d’examiner les faits…

Ensuite la Cour examine s’il y a eu dénigrement et boycott et elle conclut à une insuffisance de preuve.

Une infirmière avait rapporté des propos tenus en séance du Conseil, tels que « la société XXX n’est pas bienvenue dans le Val d’Oise », « nous réservons un traitement spécifique aux infirmiers utilisant les services de XXX » ou encore mieux, « la société XXX propose un cabinet fictif ».

Pas très sympa ! Mais la Cour d’Appel de Paris, dans son Arrêt du 20 décembre 2018, estime que tout cela est intervenu dans le cadre des prérogatives du Conseil de l’Ordre (ce qui confirme la compétence des juridictions administratives) et qu’il n’y a pas assez de preuves.

Voilà une histoire, défendue avec brio, et qui n’est sans doute pas finie, même si semble -t-il cet arrêt est définitif (pas de pourvoi).

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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Le collaborateur infirmier doit pouvoir  développer sa propre patientèle

Le collaborateur infirmier doit pouvoir développer sa propre patientèle

un poussin qui protège un oeuf avec une de ses pattes et en s'asseyant dessus

Le contrat de collaboration infirmier qui ne mentionne pas que le collaborateur peut développer sa patientèle personnelle pendant sa collaboration est nul :

On croirait enfoncer des portes ouvertes, et pourtant voilà un point qui a fait l’objet d’une âpre discussion, dans un litige opposant une infirmière à son ancienne collaboratrice.

L’infirmière accusait son ancienne collaboratrice de « détournement de patientèle », au motif qu’elle se serait réinstallée dans un périmètre géographique interdit  par une clause de non concurrence.L’infirmière voulait aussi interdire à l’ancienne collaboratrice, quelle que soit l’adresse de son nouveau cabinet, de soigner des patients, quels qu’ils soient,  dans ce périmètre.

Dans un Jugement du 29 novembre 2018, le Tribunal de Grande instance d’AIX en PROVENCE rappelle que dans un contrat de collaboration, il doit obligatoirement être indiqué que le collaborateur peut développer sa patientèle propre.

un enfant attablé à un bureau se pose des questions au sujet d'un livre ouvert devant lui. Sur le bureau 2 piles de livre, une à gauche l'autre à droite. En fond, un mur bleu sur lequel sont 3 points d'interrogation

PROBLÈME ? un contrat « type » qui avait  été modifié…

En l’occurrence, l’infirmière titulaire du cabinet avait utilisé le contrat type de l’Ordre des infirmiers.

Mais elle avait supprimé du contrat toute mention d’une patientèle possible pour la collaboratrice pendant sa collaboration. Elle avait tout simplement effacé cette clause qui lui déplaisait.

Le procédé s’avère dangereux. Utiliser des formulaires alors qu’on ne mesure pas l’importance de toutes les mentions est déjà périlleux. Supprimer des mentions l’est encore plus, lorsque (comme cela est le cas ici) elles sont obligatoires. Cela peut rendre le contrat nul.

Certaines mentions étaient supprimées, d’autres avaient été ajoutées. Il était ainsi indiqué que tous les patients d’un certain périmètre « appartenaient » au cabinet X…..

Une mention bien maladroite, car évidemment les patients n’ « appartiennent » à personne, ils sont libres de choisir les personnes qui les soignent.

Mais l’intention était claire : pendant la durée de sa collaboration, l’infirmière collaboratrice ne pouvait avoir aucune clientèle, tous les patients qu’elle soignait dans le « périmètre » du cabinet « appartenaient » au cabinet de l’infirmière titulaire. Cela signifiait clairement qu’il lui était interdit d’avoir des patients dans la zone d’installation du cabinet de la titulaire.

A l’issue de la rupture de collaboration, un litige était né puis s’était envenimé, l’infirmière accusait son ancienne collaboratrice de détournement de patientèle, au motif qu’elle s’était réinstallée pendant quelques mois dans le périmètre de la clause de non concurrence.

L’infirmière collaboratrice soulevait la nullité de la clause de non concurrence, pour différents motifs.

une photo de patrick Macnee, dans le rôle de John Steed, la vedette de la série "Chapeau melon et bottes de cuir" . Avec son célèbre sourire énigmatique, il porte la main à son chapeau melon pour saluer.

Une manière élégante de résoudre la question

Le tribunal résout très élégamment le litige en ne statuant pas sur la question de la nullité de la clause de non-concurrence.  Cela lui évite de s’interroger sur la durée de cette clause de non concurrence, sur son périmètre. Cela évite aussi de se demander si l’infirmière s’est installée dans le périmètre interdit, et pour quelles raisons.

Le tribunal  choisit de déclarer nul le contrat de collaboration parce qu’il ne prévoit pas la possibilité pour le collaborateur de développer une clientèle personnelle.

C’est l’application pure et simple de la loi du 2 aout 2005 sur les petites et moyennes entreprises, art 18 :

Le contrat de collaboration libérale doit être conclu dans le respect des règles régissant la profession.  Ce contrat doit, à peine de nullité, être établi par écrit et préciser :  1° Sa durée, indéterminée ou déterminée, en mentionnant dans ce cas son terme et, le cas échéant, les conditions de son renouvellement ;  2° Les modalités de la rémunération ;  3° Les conditions d’exercice de l’activité, et notamment les conditions dans lesquelles le collaborateur libéral peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle ;  4° Les conditions et les modalités de sa rupture, dont un délai de préavis ;  5° Les modalités de sa suspension afin de permettre au collaborateur de bénéficier des indemnisations prévues par la législation de la sécurité sociale en matière d’assurance maladie, de maternité, de congé d’adoption et de congé de paternité et d’accueil de l’enfant.

Cela montre qu’il ne faut pas imprudemment se servir de modèles de contrat et biffer au hasard des mentions qui peuvent être importantes.

Enfin, en cas de conclusion d’un contrat de collaboration, non seulement il faut mentionner que le collaborateur peut avoir sa clientèle personnelle, mais de plus il est conseillé, une fois par an au moins, de faire une liste des patients du cabinet et des patients qui sont personnellement attachés au collaborateur. Cela évite ensuite bien des soucis lorsqu’il s’agit de savoir pour quel infirmier le patient X ou Y a choisi le cabinet.

 

Catherine Marie KLINGLER
Avocat

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