Contrat de collaboration : ne changez pas un mot !
Détournement du Portrait de Jeune Femme par Nicolas Pickenoy, 1632, lors du Getty Museum Challenge
Le litige
L’affaire concerne un litige entre deux infirmières libérales.
À l’issue d’un contrat de collaboration, l’infirmière titulaire était désireuse de mettre en place un contrat « d’exercice en commun » avec son ancienne collaboratrice, mais les conditions qu’elle proposait n’ont pas été acceptées.
Dans les circonstances très particulières de la pandémie, et pendant la collaboration, une nouvelle tournée de patients s’était développée et chacune des deux infirmières s’en attribuait le mérite.
La titulaire accusait son ancienne collaboratrice de concurrence déloyale, et (entre autres) de s’être installée dans une commune qui lui était interdite par la clause de non-concurrence, ou de non-réinstallation. Elle lui interdisait tout droit de poursuivre des soins sur la patientèle qui s’était développée pendant la pandémie. L’infirmière titulaire prétendait être « propriétaire de cette patientèle ».
D'abord un référé
L’infirmière titulaire a saisi le juge des référés qui, sans doute à cause de la chaleur du mois d’août, a rendu une ordonnance particulièrement sévère puisqu’il
- ordonne à la collaboratrice, « jusqu’à décision des Juges du fond », de cesser de commettre tous actes de concurrence déloyale en lui interdisant notamment :
- d’installer son cabinet d’infirmière dans les communes de X et Y et Z
- de proposer aux patients de continuer à les soigner et ceci pour une durée de 3 ans
- de se servir des moyens logistiques créés pour la tournée n°2 du cabinet sous astreinte de 200 € par infraction constatée passé un délai de 15 jours suivant la signification de l’ordonnance
- Ordonne la récupération d’une adresse email
- Condamne la collaboratrice à payer à la titulaire une provision de 2.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et une somme de 1000€ pour ses frais d’avocat.
Pour mieux comprendre ....
Comme il n’y a jamais eu de « décision des juges du fond » (traduction : décision d’un tribunal au lieu d’un juge des référés) puisqu’aucun tribunal n’était saisi (à part le juge des référés), cela équivalait à une éternelle interdiction de se réinstaller dans les communes de X et de Y et Z.
Sans le savoir, le premier juge a inventé ce jour-là la clause de non-réinstallation à perpétuité….. violant ainsi le simple droit d’un collaborateur de s’installer où il veut, une fois la durée de la clause de non-réinstallation expirée.
Certes les décisions de référé sont des décisions rendues de manière souvent un peu précipitée, à juge unique, et ces conditions sont aggravées au mois d’août, période où l’effectif de la Justice est réduit. Les juges se trouvent parfois obligés de siéger dans des matières dont ils n’ont pas l’habitude. La stratégie de saisir un juge d’urgence au mois d’août est donc parfois payante pour le demandeur, ou l’inverse.
En l’occurrence, cette décision était lourde de conséquences, car exécutoire. Et la Justice, en panne d’effectifs, a mis 20 mois à rendre une décision qui sanctionne celle de première instance.
Il reste que l’ordonnance du premier juge est finalement réformée par un arrêt plein de bon sens, en plus d’être solidement étayé en Droit.
Les 2 points importants de l'arrêt de la Cour de Colmar
La conciliation est obligatoire avant tout procès
- L’arrêt de la Cour de Colmar rappelle d’abord l’obligation de tenter une conciliation préalable au Conseil de l’Ordre.
Cette erreur renvoie directement l’infirmière titulaire dans ses buts, car cela rend sa demande irrecevable.
L’infirmière titulaire n’a pas respecté la clause de conciliation obligatoire prévue dans le contrat de collaboration, alors qu’elle a attendu 9 mois avant de saisir le premier juge. Il est important d’insister sur ce point, car quasiment tous les contrats de collaboration contiennent cette clause : il est donc prématuré de se précipiter au tribunal car les demandes sont irrecevables si l’Ordre n’a pas d’abord été saisi d’une demande de conciliation.
Et la conciliation qui serait tentée après avoir saisi le tribunal ne rattrape pas cette erreur. C’est avant, et non après, qu’il faut tenter la conciliation.
Inutile, aussi d’engager une action disciplinaire après l’échec d’une conciliation, et avant de saisir le tribunal. C’est une stratégie que certaines infirmières utilisent en pensant se présenter ensuite au tribunal avec, en poche, une décision du Conseil de l’Ordre qui influencerait le juge. Mais une décision disciplinaire du Conseil de l’Ordre n’a aucune autorité ni aucune influence sur un tribunal. A moins d’être animé d’un esprit de vengeance (ce qui malheureusement est souvent le cas), cette étape n’est qu’une perte de temps, et d’argent.
Juste une petite retouche ...
2. L’arrêt de la Cour de Colmar souligne la retouche apportée à la clause de non-réinstallation, qui la rend inopérante.
Accessoirement, l’infirmière titulaire avait cru bon de retoucher le contrat-type de collaboration qu’elle avait téléchargé sur le site de l’Ordre des infirmiers et d’y insérer une modification de son cru. Les mots « se réinstaller » avaient été remplacés par « se faire ».
Au lieu d’indiquer « celle-ci ne pourra se réinstaller », le contrat indiquait :
« article 2. Dans le cadre de cette collaboration libérale, Madame A accorde à Madame B le temps et les moyens nécessaires à la constitution d’une patientèle qui lui sera personnelle. Celle-ci ne pourra se faire sur les communes X, Y et Z et ce pendant trois ans après la fin de cette collaboration.«
Or la clause de non-réinstallation ne peut concerner que l’installation du cabinet, pas l’interdiction de constituer une patientèle dans telle commune. Il n’est pas possible d’interdire à l’ancien collaborateur de soigner des patients en fonction de leur domicile, comme si, en raison de leur adresse, ces patients, anciens ou futurs, étaient la « propriété » d’une infirmière.
Une telle interdiction instaurait une sorte de chasse gardée sur trois communes, pendant la collaboration et ensuite pendant 3 ans. Elle interdisait à la collaboratrice de se constituer une patientèle sur 3 communes (c’est-à-dire sur le rayon d’action du cabinet) pendant la collaboration et ensuite pendant 3 ans.
Suivant les dispositions de la loi du 2 aout 2005 (art.18) et celles de la convention infirmière du 25 juillet 2007, le collaborateur doit nécessairement pouvoir développer sa patientèle, et ceci évidemment dans le secteur où il est conventionné. Et cette patientèle est celle du collaborateur. Elle ne revient pas au cabinet en fin de collaboration (lire notre article « Le collaborateur infirmier doit pouvoir développer sa propre patientèle« ).
L’article L.1434-7 du code de la santé publique instaure des zones pour favoriser une meilleure répartition géographique des professionnels de santé. La patientèle d’un collaborateur se développe donc nécessairement sur le même secteur que le cabinet avec lequel il collabore car c’est la zone où l’ARS lui donne autorisation de s’installer.
On voit donc bien que cette clause posait problème, sauf pour la titulaire qui estimait qu’elle était « claire » et qu’elle équivalait à une clause de non-réinstallation ; selon la titulaire, l’infirmière n’avait pas besoin de « se faire « une patientèle sur le secteur puisqu’elle ne pourrait pas s’y installer à l’issue du contrat de collaboration.
La conclusion de l'affaire
La Cour d’Appel n’a pas été de cet avis :
« d’autre part, contrairement à ce que soutient Mme A, le remplacement du terme “se faire” par “installe” ou “installer”, est de nature à modifier de manière substantielle le sens de l’interdiction ; en effet dans le cas de “se faire”, Mme B peut s’installer sur les communes de X, Y et z, mais ne doit pas créer sa patientèle avec des résidents de ces localités, alors que dans le cas “s’installe” elle ne peut pas situer physiquement son cabinet dans le dit périmètre. »
Ainsi cette clause, pour le moins exotique, a été considérée comme insuffisamment claire pour justifier un référé.
La Cour considère qu’elle ne pouvait justifier les mesures prises en référé par le juge de première instance. Cela lève donc les interdictions prononcées à tort et qui ont tout de même frappé l’ancienne collaboratrice pendant 20 mois, le temps que la Justice puisse revenir sur l’étonnante décision de première instance.
Cela montre le danger de se procurer des contrats-type et de remplacer un mot par un autre.
Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris
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